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— Ainsi,, dit Geronimo d’un ton plaintif, vous ne voulez même plus me voir ?

— Tenez, s’écria la jeune veuve, ne croirait-on pas entendre le Pangrazio biscegliese de San-Carlino ! Seigneur Geronimo, je consens à vous revoir tant que vous voudrez ; mais je vous en avertis, ce n’est plus sur pied d’un fiancé. Tachez de m’accoutumer à votre accent. Venez ici comme un ami et même comme un sixième aspirant à me main. Le successeur du pauvre Matteo, mon premier époux, n’est pas encore choisi ; voilà tout, et je vous le déclare, afin que vous n’alliez point vous bercer d’illusions chimériques ; à présent, parlons de la pluie et du beau temps, je vous en prie.

Le compère Michel, dame Filippa et le chanoine eurent beau chapitrer la belle veuve ; notre abbé eut beau passer du larmoyant au pathétique : Lidia demeura inébranlable.

— N’insistez pas davantage, dit-elle, seigneur Geronimo, car je sens l’envie de rire qui me prend, et malgré mon trouble, mes regrets et la pitié que vous m’inspirez, je vais éclater tout à l’heure si vous continuez à déclamer ainsi. C’est grand dommage, j’en conviens, de rompre un mariage assorti pour un motif aussi frivole en apparence ; mais il n’y a point de remède. Si j’épousais un Biscéliais, je croirais avoir toute ma vie don Pancrace à mes côtés. La tendresse, le respect et les égards qu’on doit à un époux ne s’arrangent point avec une pareille idée. Croyez-moi, parlons de la pluie et du beau temps. Soyons bon amis, et ne pensons plus à des projets qui me sont déjà sortis de la tête.

Le chanoine rompit les chiens en feignant d’admirer les fleurs du jardin. Lidia se mit aussitôt a causer gaiement avec une si parfaite liberté d’esprit, un dégagement si visible de toute arrière-pensée, que Geronimo eut enfin la mesure de son malheur. Il n’essaya pas de se mêler à la conversion, et le chanoine, voyant de grosses larmes rouler dans ses yeux lui fit signe de prendre son chapeau et de battre en retraite. On échangea des phrases de politesse, où l’honneur de connaître M l’abbé, le plaisir qu’on aurait à le recevoir, furent comme autant de coups de poignard pour le pauvre Geronimo. Il n’osa qu’à peine ouvrir la bouche pour murmurer un adieu plaintif, de trahir encore son fatal accent de Bisceglia. On le reconduisit jusqu’à la porte. Le père lui conseilla d’espérer, dame Filippa lui fit des signes d’encouragement et Lidia lui donna la main d’un air amical, en répétant que c’était grand dommage, mais qu’il ne fallait plus penser à des projets absolument rompus ; puis la porte s’ouvrit, Antonietto fit avancer le fiacre, le cocher fouetta ses chevaux, et Geronimo, donnant un libre cours à sa douleur, se mit à pleurer comme un enfant.

— Calmez-vous, mon ami, lui dit le chanoine. Offrez vos chagrins à Dieu et rentrez avec résignation dans le giron de l’église. C’est une