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commandement supérieur. De cette démission proviennent et l’impossibilité de contenir ou de gouverner la révolution, et la nécessité de se brouiller avec l’Autriche, et les incohérences de la guerre avec le Danemark. Elle est en contradiction flagrante avec l’histoire entière du royaume de Prusse, qui est bien plus prussien qu’allemand : elle n’a pourtant abouti qu’à soulever contre la Prusse toutes les inimitiés de l’Allemagne, celles des peuples comme celles des princes. La Prusse s’est figuré qu’à ce prix-là elle écraserait l’Autriche. Nous ne disconvenons pas que l’on sent, dans cet endroit de la brochure, un vif accent autrichien ; mais elle n’en prouve pas moins que l’Autriche était faite pour durer, malgré le mauvais vouloir de la Prusse.

L’auteur de la brochure passe ainsi en revue les actes et les hommes de la politique unitaire avec une verve d’ironie et de persiflage qui n’est pas souvent aussi bien conduite dans les publications politiques de l’Allemagne. Il poursuit une à une les inconséquences de cette politique ; il s’attache tour à tour à M. d’Arnim, à M. de Radowitz ; il ne leur pardonne « ni les demi-mesures ni les demi-pensées ; » il conjure le gouvernement d’abandonner une fois pour toutes la politique unitaire, « les nuages à la Radowitz. » Nous citons volontiers la péroraison à la fois si raisonnable et si piquante qui termine ces pages remarquables ; ce sera notre excuse pour avoir retenu si long-temps nos lecteurs au milieu de ces questions étrangères, quand nous avons tous par malheur tant de sujets d’être exclusivement occupés de nos propres embarras.

« L’unité allemande, c’est la quadrature du cercle ; on s’en approche, mais on ne l’atteint pas. Je compare l’unité allemande aux cathédrales allemandes ; on a travaillé pendant des siècles, et nous n’en avons pas une de finie. Il y a dans la nature de l’Allemand un instinct, un entraînement vers le transcendantal qui monte au-delà de toute réalité, sans pouvoir jamais devenir lui-même quoi que ce soit de réel. Cet instinct est beau, il est élevé ; son domaine, c’est l’art, c’est la religion, c’est le sentiment, mais ce n’est point la politique.

« Aussi faut-il mettre de côté toutes les idées de centralisation et d’unité pour revenir à la base du pur fédéralisme. Le fédéralisme n’est point compatible avec un pouvoir central qui ait à lui seul une consistance particulière ; il n’admet qu’un pouvoir délégué par les membres de la fédération. Encore moins comporte-t-il la suprématie absolue d’un seul membre. Ce serait là le féodalisme, qui est maintenant derrière nous. Le fédéralisme est en Allemagne la constitution de l’avenir.

« Pays des penseurs, où s’en est donc allée ta logique ? Professeurs, où avez-vous laissé votre histoire et votre géographie, si vous ne savez point qu’un pays comme l’Allemagne ne peut s’organiser ni comme la France, ni comme l’Angleterre, ni comme l’Amérique ? Et vous autres, qui n’êtes point des professeurs, qu’avez-vous fait du sens commun de l’humanité ?

« Ah ! c’est bien vrai, le sens commun est au diable ! car le diable, c’est l’esprit d’outrecuidance qui torture les choses pour leur ôter leur aspect naturel en les façonnant à sa guise, c’est l’esprit d’entêtement qui ne cherche que lui-même en se couvrant d’un air de dévouement comme un ange de lumière. Il s’appelle le diable, c’est-à-dire l’embrouilleur, et il fut un menteur dès le prin-