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brumeux, Rome et Naples, où elle avait passé ses premières années. Lorsqu’il se fit tard, j’appuyai deux chaises contre le mur et m’assis pour y passer la nuit. La jeune fille vint à moi en rougissant : « Vous aurez demain une bataille, il faut vous reposer pour bien combattre ; voici ma chambre, dit-elle en montrant une porte, disposez-en ; laissez ces chaises, je passerai la nuit ici. » Je refusai d’abord, j’acceptai ensuite : ces instances hospitalières, cette générosité plus forte que la timidité même, ne laissaient place qu’à de respectueux remerciemens.

Pendant la nuit, nos pionniers rétablirent le pont sur la Raab, brûlé par les Hongrois, et le 27, à trois heures du matin, nous quittâmes Csécseny. La nuit était sombre ; nous marchions sur une route étroite, tenant nos chevaux à la main pour les empêcher de glisser dans les fossés profonds qui bordent le chemin. Comme nous traversions le pont, le cheval d’un officier qui était resté en selle glissa sur les planches : l’officier se jeta à terre ; mais le cheval, précipité d’une hauteur de sept ou huit mètres sur la glace, se brisa les membres. Le vent du nord soufflait par rafales, et le froid se faisait vivement sentir. Dès que la colonne s’arrêtait un moment, les soldats, malgré la défense expresse des chefs, ramassaient promptement des branchages, des feuilles sèches, et allumaient du feu sur la route pour se réchauffer quelques instans. L’artillerie, les chars de munitions étaient ensuite obligés de passer sur ces feux mal éteints.

Lorsque nous arrivâmes sur les bords de la Marczal, les poutres du pont que les Hongrois, instruits de notre marche, venaient d’incendier, brûlaient encore. Nos pionniers conduisaient avec eux des voitures pleines de planches, de paille et de fumier ; la rivière était prise ; on étendit la paille sur la glace, et les planches par-dessus : l’infanterie passa ; mais, quand vint l’artillerie, la glace céda, et l’eau jaillit de toutes parts ; il fallut aller faire un autre pont à deux cents mètres plus haut. Alors les officiers rivalisèrent d’activité avec les soldats ; le ban voulait que son corps fût le premier devant Raab ; il y allait de notre honneur, et, pour encourager les soldats, il se mit lui-même à porter quelques planches pendant que nous courions dans l’eau glacée pour rattraper celles que la rivière entraînait déjà. Enfin, après un travail difficile et dangereux, le pont fut rétabli, la cavalerie passa, l’artillerie vint ensuite ; quelques chevaux s’abattirent et roulèrent sur la glace dans les efforts qu’ils faisaient pour remonter sur la rive opposée ; mais l’amour des soldats pour leur chef, une volonté ferme, triomphent de tous les obstacles, et, lorsqu’il faut vouloir, tout devient possible ; au point du jour, tout le corps avait passé la Marczal.

À deux heures de l’après-midi, nous arrivâmes en vue de Raab. Le ban fit arrêter la colonne et détacha des patrouilles ; elles trouvèrent les redoutes abandonnées par l’ennemi, et nous continuâmes notre