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d’un domestique, nous fit offrir du vin. Voyant que j’étais officier, elle m’engagea à entrer dans la maison de ses parens. Je refusai, pensant que c’étaient des Hongrois qui me recevraient à contre-cœur, et je ne voulais pas m’installer dans cette élégante maison pendant que les soldats blessés n’allaient trouver dans le village qu’un peu de paille pour se coucher. J’allai avec eux dans un grand bâtiment qui devait servir d’hôpital ; mais il n’y avait ni paille sur le plancher, ni même un banc pour s’asseoir, et pas de vitres aux fenêtres. Alors, soutenu par un de mes camarades, je retournai sur mes pas et j’entrai dans la maison où l’on m’avait d’abord offert de me recevoir. Je demandai au bout d’un moment chez qui j’étais. « Chez le comte Schönborn, » me dit la jeune personne un peu étonnée de la singulière figure que j’avais. Le nom de Schönborn, l’un des plus illustres de l’Allemagne, me promettait un bon accueil. Le comte Schönborn vint au bout d’un moment et me dit qu’il avait connu mon père. Je fus soigné comme si j’eusse été le fils de la maison. Mon fidèle domestique arriva peu après lorsqu’il m’avait vu revenir, après le combat, couvert de sang, il s’était mis à pleurer ; mais, s’étant assuré que notre cheval, comme il disait, n’était pas blessé, il s’était vite consolé, et, voyant son maître si bien traité, il s’établit aussi dans la maison du comte, comme si nous l’eussions prise d’assaut.


II

Le combat de Moor avait fait naître de brillantes espérances ; on pouvait croire qu’il serait le point de départ d’une série d’opérations destinées à compléter rapidement la soumission du pays. Cependant, après ce combat, de nouveaux mécomptes vinrent éprouver notre patience, et la guerre de Hongrie entra dans une nouvelle période qui devait se prolonger bien au-delà de nos prévisions.

Le lendemain du combat de Moor (31 décembre), le ban voulait, dès le matin, marcher en avant sur Lovas-Bereny pour couper de la route d’Ofen Perczel, qui avait pris la fuite vers Sthuhlweissenbourg ; mais, ayant appris que notre second corps d’armée ne s’était avancé, le 30 au soir, que jusqu’à Acs, près de Komorn, il crut devoir lui laisser le temps de le rejoindre. À Moor déjà, on n’était que trop exposé, et Georgey, qui était avec toutes ses forces aux environs de Banhida, pouvait, en quelques heures, venir nous couper du gros de l’armée. Le ban fut donc obligé de rester à Moor pendant la journée du 31, en attendant que le second corps se fût avancé sur la route d’Ofen à la même hauteur que lui sur celle de Sthuhlweissenbourg. Vers le soir, il vint me voir, eut la bonté de m’embrasser et me dit qu’il allait me proposer