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J’y trouvai, vivant dans l’abondance et la joie, cette armée que j’avais laissée au milieu des fatigues et des privations. Le matin une promenade au bois, le soir l’opéra ou le spectacle national remplissaient nos journées. La langue hongroise est belle, mâle et sonore. Les femmes surtout jouaient avec beaucoup d’ame et de passion ; dans les scènes d’amour, elles savaient trouver des accens d’une tendresse, d’une douceur infinies ; mais c’est comme langue militaire, c’est dans la bouche d’un chef haranguant ses soldats, que le hongrois est surtout admirable. Les métaphores brillantes, les mots empruntés aux temps de la chevalerie se pressent alors dans les discours du chef magyar. L’orateur n’oublie jamais de parler aux soldats qui l’écoutent de leurs ancêtres, de la gloire d’Arpâd, des batailles où le sang de la noblesse hongroise a coulé. Alors le dernier paysan se redresse avec fierté, et ses yeux lancent des éclairs. Les gens du peuple même se plaisent à employer des expressions sonores et pompeuses : ils cherchent souvent, dans la nature des images, des termes de comparaison qui ne manquent pas de poésie. « Mon cheval, me disait un jour un Hongrois, court sur la plaine comme une étoile filante sur un ciel sans nuages. »

Nos loisirs touchaient cependant à leur terme. Vers le milieu de février, Dembinski, chargé du commandement des quatre corps d’armée réunis sur la Theiss, résolut de prendre l’offensive, et dressa le plan suivant. Le corps de Klapka et celui de Georgey, qui, après leur réunion, avaient pris position sur la rive droite de la Theiss, appuyant leur droite à Kashau et leur gauche à Miskolcz, devaient s’avancer vers Pesth par la grand’route de Mezö-Kövesd, et, lorsqu’ils seraient arrivés à la hauteur de Poroslö, le corps de Repassy, concentré à Tissa-Fured, devait passer la Theiss pour se joindre à eux. Ces trois corps réunis étant arrivés à la hauteur de Gyongyös, les troupes de Damianich, concentrées à Czybakhaza, devaient également passer la Theiss, emporter Szolnok, se mettre en communication avec Klapka, Georgey et Repassy, puis s’avancer sur la ligne du chemin de fer de Pesth, et seconder leur mouvement contre nous ou leur attaque contre Pesth.

Le prince Windischgraetz n’attendit pas que ce plan eût pu être mis à exécution ; il croyait que Schlick était encore à Rima-Szombath, où ce général s’était retiré après une brillante et inutile résistance contre les corps, réunis de Perczel, de Klapka et de Georgey. Il lui envoya donc l’ordre de descendre par la vallée de la Sajo jusqu’à Miskolcz pour prendre par derrière l’armée hongroise, que lui-même attaquerait de front ; mais Schlick se rapprochait de Pesth pour ne pas être coupé de l’armée du prince, et était déjà près de Petervasar, lorsqu’il reçut cet ordre. S’il fût retourné en arrière pour l’exécuter, il serait arrivé trop tard. En conséquence, il continua sa marche pour venir se réunir à l’armée du feld-maréchal à la hauteur de Kapolna. Le prince quitta