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chagrin. On le conduisit à la maison, et toute la famille le gronda doucement.

— Savez-vous, lui dit la jeune veuve, que cela est fort mal ? Venir ainsi mourir à ma porte, faire un scandale qu’on m’aurait reproché, comme si c’eût été ma faute ! On aurait parlé de cette histoire pendant dix ans. Enfin nous en voilà quittes pour un peu de bruit. Vit-on jamais un homme se tuer pour des plaisanteries sur son accent ? Vous avez eu là une véritable idée de Biscéliais. Gardons-nous de raconter cette aventure, car don Pancrace en donnerait le spectacle au public de San-Carlino. Allons, seigneur Geronimo, remettez-vous de cette alarme, et surtout renoncez à de telles extravagances.

Le curé de Saint-Jean-Teduccio arriva conduit par Antonietto, qui avait joué son rôle jusqu’au bout. Ce curé était un bon homme ; il fit à l’abbé un petit sermon et lui promit le secret. De son côté, Geronimo jura qu’il ne penserait plus à la mort, et il remonta dans son fiacre pour retourner à Naples, corrigé de sa folie et honteux de son équipée. Cependant sa confusion était agréablement tempérée par le sentiment de sa résurrection. Le soir, il jouait une partie de scoppa dans un café de la rue de Tolède, lorsqu’une femme le vint appeler : c’était la servant de la jeune veuve.

— Ma maîtresse, lui dit cette femme, m’envoie à la ville, seigneur Geronimo, pour vous dire qu’elle vous prie bien fort de vivre, que vous lui feriez de la peine et la désobligeriez en songeant encore à mourir, qu’il faut venir la voir souvent, comme ses autres amis, et qu’elle vous apprendra volontiers a prononcer purement le napolitain.

Cette attention délicate rendit l’espérance au pauvre abbé. Il s’empressa d’y reconnaître un encouragement, et il ne douta plus qu’en prenant des leçons de napolitain, l’élève ne dût bientôt inspirer au professeur une tendre inclination. Le lendemain, il se rendit chez sa belle pour montrer de la docilité. Ses cinq rivaux l’avaient devancé ; mais il ne témoigna point de jalousie, et fit avec eux assaut de galanterie. Deux de ses rivaux étaient des prétentions au bel-esprit Geronimo leur tint tête sans affectation, et s’il n’eut pas toujours l’avantage dans les escarmouches de bons mots, il racheta ses défaites par la modestie et la bonne humeur. Deux autres rivaux, vêtus de gilets en poil de chèvre et de cravates roses, couverts de chaînes d’or et de breloques, étaient des modèles de dandysme que notre abbé ne pouvait pas prétendre égaler en luxe et en magnificence. Il se contenta de lutter avec eux par la grâce des attitudes. Le Calabrais seul, avec ses regards farouches et son ton brusque, lui inspira autant de crainte que d’antipathie, mais Geronimo évita soigneusement toute discussion qui aurait pu dégénérer en querelle. On se moqua un peu de son accent et de ses naïvetés biscéliaises ; il ne s’en fâcha pas et prit la plaisanterie