Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/306

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la seconde soirée. Geronimo proposa un tour de promenade dans la ville. Le Calabrais s’était emparé du bras de Lidia ; Geronimo offrit le sien à sa tante, et les autres jeunes gens suivaient deux à deux par derrière. L’abbé invita les dames à prendre des glaces. On s’installa au Café de l’Europe devant une table qui fut bientôt chargée de granites, de sorbets et de limonades. Quand on eut tout avalé, une certaine rêverie s’empara des hommes, et la conversation tomba. L’un des élégans demanda la Gazette des Deux-Siciles, l’autre le Salvator Rosa. Les deux beaux-esprits firent semblant de lire la Quotidienne et les Débats, quoique la langue française fût pour eux de l’hébreu. Le seigneur calabrais fredonnait un air en regardant le ciel.

— Allons, ma nièce, dit la tante Filippa, il est temps de partir. Nos lits sont à une lieue d’ici ;

— Il faut faire notre marché avec un fiacre, dit la jeune veuve.

— Je me charge de ce soin, s’écria le Calabrais en quittant la table avec empressement.

L’un des élégans, se penchant à l’oreille de l’autre, le pria de payer la dépense.

— J’ai oublié ma bourse à la maison, lui répondit son ami.

— Et moi je laisse toujours la mienne à mon domestique. Je ne puis comprendre ce que fait cette canaille-là.

Les deux beaux-esprits se plongèrent plus profondément dans les journaux français.

— C’est comme dans la pièce de tout à l’heure, dit Lidia en faisant un rire mélodieux.

— Bravo! s’écria dame Filippa en se tenant les flancs ; où est le don Pancrace ? Appelez don Pancrace pour payer le compte. Faites-le revenir de Bisceglia, car je vois bien que lui seul ici a de l’argent, et qu’il ne faut pas se fier aux grands airs des don Limone.

— Messieurs, dit Geronimo, j’avais prévu votre empressement; mais, comme j’ai offert des glaces à la compagnie, je ne puis souffrir qu’un autre paie la dépense, c’est pourquoi j’ai remis d’avance une piastre au garçon de café.

Le Calabrais revint avec une calèche de place. Tandis qu’il y faisait monter Lidia, la vieille tante prit à part Geronimo et lui dit tout bas :

— La Madone protège les jolis garçons. Voilà une heureuse soirée pour vous; je vais parler à ma nièce.


VI.

Encouragé par les paroles de la tante Filippa, l’abbé revint à Saint-Jean-Teduccio le lendemain. Il n’y trouva pas un de ses rivaux. Sans espérer déjà qu’on lui cédât la place, il comprit à cette désertion que le sentiment de leur défaite retenait les galans à la ville.