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que tout homme, tout robuste et tout brigand que vous êtes, je vous arracherais les deux yeux en un tour de main ; et nous verrons, quand je les aurai dans ma poche, si la fanfaronnade les fera briller comme à présent. Et il faut vous persuader qu’on ne me fait point peur, et que s’il y a des abbés parmi mes amis, vous les souffrirez comme les autres ; que si vous ne m’approuvez point, je ne m’en soucie comme de cela, et que les rodomontades n’ont pas de succès avec moi, et que vous prenez un chemin qui vous mènera peut-être en Calabre, mais non pas dans les bonnes graces de votre servante.

— Ne vous emportez pas à mon sujet, madame, dit Geronimo. Le seigneur Giacomo plaisante. Il sait bien que je n’ai point envie de lui manquer.

— Je pense en effet, répondit don Giacomo, que vous ne l’oseriez pas en face ; mais je ne souffre pas plus les impertinences doucereuses et enveloppées de politesse que les offenses toutes nues.

— Quelles impertinences nues ou habillées trouvez-vous donc dans mes paroles ? demanda l’abbé avec modération.

— C’est ce que je vous ferai savoir par mes seconds, dit le Calabrais d’une voix de stentor, à moins que de bonnes excuses en présence de ces dames…

— Je ne me m’excuse point de paroles que je n’ai pas prononcées et d’intentions que je n’ai pas eues, dit Geronimo.

— Que ne suis-je un homme ! s’écria Lidia. J’aurais déjà jeté mes gants au visage de ce guapo[1].

— On verra demain si je suis un guapo, reprit le Calabrais en criant à briser les vitres. Aussi bien, Je n’ai plus de ménagemens à garder ici, puisqu’on me traite en ennemi. Vous aimez les abbés, signora ; eh bien ! je leur tondrai les cheveux jusqu’aux oreilles inclusivement, à vos abbés ; et sur ma foi et mon salut, je vous promets que demain il y aura un abbé de moins sur la terre, et que, s’il refuse de se battre, je lui romprai les os de telle sorte qu’il ne sera jamais ordonné par monseigneur l’évêque.

— Un moment ! dit Geronimo. Puisque vous le prenez ainsi, mieux vaut me battre que d’être assommé. Dieu m’est témoin que je ne suis point méchant, que je n’ai point cherché cette querelle et qu’on m’oblige à sortir de mon caractère. J’en suis sorti à présent, et vous pouvez m’envoyer vos seconds quand vous voudrez ; je vous montrerai peut-être qu’un abbé sait manier l’épée au besoin.

— Les gens d’église ne se battent pas, répondit le Calabrais avec moins d’emportement.

— Il s’en trouvera un qui se battra demain, reprit Geronimo, et

  1. Le guapo napolitain est un fanfaron qui rappelle le capitan de l’ancienne comédie de la foire Saint-Laurent.