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ô salutaire découragement ! Je retournerai où le ciel veut me conduire.

— Allons ! dit Lidia en riant, le voilà qui songe à retourner à Bisceglia, comme le Pangrazio Cucuzziello[1]

L’arrivée des parens interrompit la conférence des jeunes gens. L’état violent et les larmes de Geronimo n’échappèrent pas au coup d’œil de la vieille tante. Lorsque la compagnie eut bien admiré le point de vue du golfe de Salerne, les dames remontèrent sur leurs ânes pour reprendre le chemin de Sorrente. En descendant la montagne, dame Filippa fit signe à Geronimo de rester derrière avec maître Michel, et, s’approchant de Lidia :

— Ma nièce, lui dit-elle, vous chagrinez à plaisir un honnête garçon qui vous aime. C’est fort mal fait. Prenez-y garde, cela porte malheur. Il est temps de finir ce jeu cruel que la charité chrétienne et la raison condamnent également. Vertu de la Madone ! de quelle pâte sont donc pétries les filles d’aujourd’hui ? De mon temps, on ne tourmentait pas ainsi les hommes. À l’âge que vous avez, si l’on m’eût laissée trois mois entiers en tête-à-tête avec un amoureux, le pied aurait pu me glisser, parce que j’avais la tête vive, le cœur tendre et pitoyable, et c’est pourquoi, connaissent le danger, Je me suis mariée soudain avec le premier qui m’a trouvée à son goût, et cela sans attendre dix-huit ans, je vous en réponds.

— Chère tante, répondit Lidia, tous avez fait comme il vous a plu, et fort sagement, j’en suis certaine. Souffrez que je fasse autrement. Les filles de votre temps étaient bien meilleures que celles d’aujourd’hui, cela est évident, que voulez-vous ? Il ne dépend pas de moi que j’ai cinquante ans. Puisque je suis pauvre d’années et que je ne crains pas les glissades, permettez-moi de ne contracter un second mariage qu’à bon escient, et ne me grondez pas.

— Pauvre d’années, pauvre de raison et d’expérience, ma toute belle ! reprit dame Filippa. Je ne te gronde pas, et je ne songe qu’à ton bonheur. Ces coquetteries, ces taquineries, cette humeur fantasque, ne conviennent pas à une bonne fille comme toi. Est-ce une mode nouvelle Cette mode ne vaut rien. Il te faut un mari : regarde donc combien l’étoffe en est rare. Ta jeunesse et ta beauté ont attiré à la maison des parleurs à prétention, des don Limone, un guapo ; celui-ci ne leur ressemble pas ; il t’aime à la folie. C’est assez réfléchir et différer ; prends tout de suite ce jeune mari, ou bien on te le soufflera. Je m’y connais : ce garçon-là n’en peut plus. Il n’ira pas loin. N’attends pas à dimanche ni à demain ; laisse-moi lui dire à l’instant même que nous sommes d’accord.

  1. Le public de San-Carlino met un accent de malice et de gaieté tout particulier dans ce mot de cucuzziello, qui signifie littéralement cornichon.