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les chaloupes viennent se placer contre un rocher, au milieu des brisans ; les hommes montent au moyen d’une échelle de corde, et les marchandises, enlevées par un cabestan, sont déposées sur la grève. La ville est un amas de cabanes de roseaux et de terre ; mais tout le commerce des provinces d’Aréquipa, de Puño et de Cusco se fait par ce port, ce qui lui donne du mouvement et même y répand force numéraire. Sur toutes les places, dans tous les enclos, on voit des troupes de mules arrivées d’Aréquipa, et qui doivent s’en retourner sans délai, chargées ou à vide, car il n’y a pas un brin d’herbe à dix lieues aux environs.

Au sortir d’Islay, on suit un chemin resserré entre des montagnes pelées, dont le fatigant éclat n’est interrompu çà et là que par des bouquets d’oliviers, à l’ombre desquels est inévitablement établi un cabaret où l’on vend de l’eau-de-vie et de la chicha. Six lieues plus loin, on laisse derrière soi les montagnes pour entrer dans une immense plaine de sable : c’est le désert avec son horizon sans bornes, ses monticules de sable, sa poussière fine et mouvante ; mais la marche au milieu du désert, je l’avais comprise plus poétique. Dans mon désert de fantaisie, il y avait de longues files de chameaux, des costumes orientaux, des Arabes galopant autour de la caravane pour la protéger ou la piller. — Hélas ! six misérables mules et un muletier, moi, Parisien dépaysé, suivi de mon valet de chambre, à qui ses longues moustaches donnaient l’air d’un vendeur d’orviétan, — c’était en vérité une bien piteuse caravane !

En avançant, l’on est étonné d’apercevoir au loin des cultures indiquées par de vastes champs diversement nuancés à la surface. L’eau paraît abondante, car on en distingue de larges flaques dans toutes les directions, et jusqu’à des ruisseaux qui serpentent. De plus près, cette nature se montre telle qu’elle est, absolument morte. Ces champs, cette eau, sont formés d’efflorescences de salpêtre et de couches de sable gris et bleu. Cette plaine aride est coupée par un large ravin, au fond duquel sont cachés la vallée et le hameau de Vittor. L’arriero annonça que nous étions au beau milieu du village, et courut de porte en porte demander l’hospitalité ; mais des gens que l’on réveille à minuit sont de fort mauvaise humeur : ceux-ci nous envoyèrent promener. J’allai donc me réfugier dans un tambo, et je puis assurer qu’après une marche forcée de treize heures, l’on dort parfaitement sur un manteau et sous un toit de roseaux.

Les poètes arabes chantent les oasis du désert avec leurs bouquets de dattiers ombrageant un puits d’eau saumâtre ; que diraient-ils de la vallée de Vittor, encadrée dans de gigantesques montagnes de sable, et courant, verte et fraîche, tout le long de son joli ruisseau, en étalant sur une demi-lieue de largeur ses champs de vignes, d’oliviers et d’alfalfa