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pour local un couvent de la ville avec une rente de 10 000 piastres (50 000 fr.) prise sur les biens dudit couvent. L’instruction est gratuite pour les externes, qui sont au nombre de deux cents. Les internes, actuellement au nombre de trente, paient à peu près 700 fr. de pension annuelle. Les maîtres chargés de l’éducation de ces enfans leur trouvent des dispositions, mais un grand fonds d’indolence ; à peine sont-ils grands, qu’on ne peut plus rien en faire. Ils deviennent hommes de trop bonne heure. L’évêque et le clergé en chœur répètent que le nouveau collége est dirigé par des gens élevés à Paris, partant athées et immoraux, et que leur petit séminaire peut seul procurer à la jeunesse d’Aréquipa une éducation religieuse et morale. Le collége se défend de son mieux contre ces accusations, et l’éducation de la jeunesse est devenue ainsi, au Pérou comme en France, un champ de bataille pour les partis politiques.

Un matin, et presque à la veille du jour où je devais quitter Aréquipa, les cloches se mirent en branle ; à dix heures, il y eut grande procession. Je vis sortir la statue de la Vierge, précédée de douze Indiens grotesquement vêtus et sautant comme des ours, sans grace ni mesure. Chœur d’enfans, chœur de religieux de Saint-François, chœur d’Indiens hommes et femmes, de blancs, de noirs, chacun dans un ton différent et accompagné en bloc par une quantité de violons, de grosses caisses, de harpes et de guitares, rien ne manquait à la fête. Les passans étaient à genoux ; fusées et pétards éclataient de tous côtés. J’avais d’abord cru que cette bruyante procession était menée en l’honneur de la bataille d’Ajacucho ; mais il paraît que le clergé n’a aucune sorte d’enthousiasme pour l’état de choses que cette bataille a fait naître, et qu’il en célèbre l’anniversaire le moins qu’il peut. Les réjouissances étaient en l’honneur de la fête d’église du jour.

Le lendemain, il devait pourtant y avoir messe avec Te Deum, revue de troupes, grand dîner de fonctionnaires publics, le tout par ordre du préfet. Étant par métier passablement blasé sur les fêtes officielles, je résolus d’échapper à celle-ci, et de commencer sans plus de retard un voyage qu’il fallait à tout prix exécuter avant la saison des pluies. Je voulais connaître dans toute leur étrangeté les mœurs de ces républiques espagnoles, que la plupart des voyageurs n’observent que dans les villes de la côte. Franchir les Cordilières, visiter d’abord Puño et les mines, puis La Paz et la république bolivienne, me diriger ensuite vers Lima en traversant le Cusco, tel était le plan tracé d’avance d’une longue tournée qui devait me montrer une vaste région de l’Amérique du Sud sous tous ses aspects, dans ses districts miniers et dans ses centres politiques, dans sa vieille civilisation et dans ses mœurs nouvelles. Pour me rendre d’Aréquipa à Puño, j’avais trouvé un compagnon de route fort obligeant, un négociant anglais propriétaire de la