Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/405

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’œuvre. — Un acte de loyale habileté : si aucune des promesses de l’école républicaine ne venait à réalisation, il fallait que les monarchistes se gardassent d’amoindrir la portée de cet avortement en y contribuant pour quelque portion que ce fût. Il fallait que l’idée reçût tous les genres d’application auxquels elle pouvait prétendre, la vie du pays demeurant sauve. Il fallait que les républicains ne rencontrassent pas un obstacle de la volonté ou de la perfidie, et pussent se convaincre que ce qui leur résistait, c’était la nature même des choses, l’indestructible tempérament de la société. Il fallait que tout homme de sens et de droiture fût contraint d’avouer que le sol même du pays refusait de restituer en moisson la semence nouvelle qu’on jetait à pleines mains sur sa surface, en sorte que, chacun étant invinciblement éclairé, les hommes monarchiques corrigés de la division, les hommes républicains corrigés de l’utopie, on en pût finir de soixante ans de discorde et de ruine par un accord aussi unanime que le comporte le cœur humain. C’est ce qu’entreprit le parti de l’ordre, non dans un premier moment de timidité ou de ferveur, mais sciemment, résolûment et avec persévérance.

Quant à la peur, puisque ce mot a été articulé, ce sera toujours le plus mal fondé des reproches que les Français peuvent s’adresser les uns aux autres. Les partis n’ont que trop fait leurs preuves à cet égard. Hoche et Charette, Chénier et Malesherbes, le duc d’Enghien et le maréchal Ney n’ont jamais envisagé du même œil qu’une seule chose dans la vie : ce fut la mort.

Je ne m’appesantirai donc point sur la réponse que mériteraient les publicistes et les orateurs qui s’écrient de temps à autre : — On s’est dérobé devant nous ; on a glissé entre nos mains au 24 février ; on a trahi notre clémence ; on ne la tromperait pas une seconde fois ! Je ferai seulement observer aux hommes qui prétendent trouver un titre de gloire dans l’épouvante inspirée par leur apparition soudaine au faîte de la société, qu’ils se calomnient certainement eux-mêmes autant qu’ils insultent la nation. Quel droit avaient-ils donc pour frapper et pour punir ? Il n’y a pas eu, depuis le 24 février, une seule manifestation du suffrage universel qui n’ait réduit à néant toutes les velléités des terroristes, et, avant l’assemblée, la garde nationale suffisait à expulser de nos grandes villes tout commissaire suspect d’intentions violentes. Sur quelle logique, même ultra-révolutionnaire, s’appuierait cette hideuse fatuité de la menace et du crime ? Qui donc en France était, en 1848, condamné à mort d’avance et par défaut ? Qui donc en France se vanterait d’être juge et bourreau de naissance ? Qui donc se repentirait d’avoir laissé fuir tel jour ou telle heure sans avoir rempli ces terribles fonctions ?

Ce que les hommes monarchiques ont fait sans timidité, l’ont-ils fait avec sincérité et avec persévérance ? Ont-ils bien réellement apporté