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n’est plus éloigné de ma pensée que cette insinuation ; mais j’ai cependant du fait en lui-même une induction à tirer.

Jusqu’au 15 mai, on a vu le défaut d’unité, le défaut de doctrine du parti républicain ; le 15 mai fit éclater son incompatibilité radicale avec les conditions élémentaires d’un gouvernement quelconque. On ne réagit pas en un jour contre les mœurs de toute sa vie. Quand les caractères ont pris leur pli, la volonté d’un instant ne suffit pas pour l’effacer. Quand on a dépensé toutes les années qui conduisent vers l’âge mûr à prodiguer, nous oserons dire à profaner le nom du peuple ; quand on a reconnu sa souveraineté dans le 10 août, on est bien embarrassé pour la nier au 24 février, et l’on devient fort perplexe au 15 mai. Quelques hommes ont tout fait pour empêcher la manifestation de ce caprice populaire ; mais la manifestation est accomplie, elle réussit : peuvent-ils, doivent-ils protester encore ? A quel signe le caprice se distingue-t-il de la volonté, quand on a renoncé d’avance à toutes garanties et à tout contrôle en ce genre ? Lorsque MM. Barbès, Raspail et Huber déclarent l’assemblée dissoute au nom du peuple, un des plus jeunes représentans, M. Fresneau, s’écrie « Au nom de quel peuple ? » et les envahisseurs se précipitent vers son banc le poing fermé. Tous les républicains n’adoptaient pas ce mode de réplique, loin de là ; beaucoup seulement commençaient à ne plus savoir quelle réponse on aurait dû faire à cette interpellation bretonne. La plupart regagnèrent leur logis, navrés, mais irrésolus, et répétant à quiconque les interrogeait : « Un grand malheur vient de fondre sur nous ; l’assemblée est dissoute ! » Pour trouver dans leur conscience une autre réponse, ce n’était pas l’héroïsme personnel qui leur manquait, c’était la lucidité politique et la décision morale. La preuve, c’est qu’un général qui devait mourir glorieusement six semaines après, dans les journées de juin, était du nombre de ceux qui courbèrent le plus stoïquement la tête devant le 15 mai, et cela dans les jours de la ferveur et de l’enthousiasme révolutionnaires, sans l’ombre d’un motif ou d’un prétexte, lorsque tout ce qui n’était pas entraîné était docile, lorsque l’assemblée n’avait émis que des votes décrétant que tout le monde avait bien mérité de la patrie.

Ah ! nous répétons sans cesse que la Providence gouverne directement la France ; mais nous le disons machinalement : nous n’avons pas assez réfléchi à tout ce qu’elle nous montrait le 15 mai et à tout ce qu’elle daignait nous enseigner en nous le montrant. On pourrait essayer toutefois de faire un retour sur la chambre monarchique pareillement dissoute et à la même place quelques mois auparavant ; mais ce rapprochement ne soutiendrait pas la discussion. Beaucoup d’argumens se pressent pour le détruire ; un seul dispense de tous les autres. La chambre des députés, en 1848, n’était qu’un des pouvoirs