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public. De ses collègues du ministère, pas un ne s’associa à sa retraite Voilà comment M. Carnot fut victime de mystérieuses machinations, mais voilà aussi le premier germe des méfiances entre une notable portion de l’assemblée constituante et le général Cavaignac. Je n’ai jamais su, je n’ai jamais cherché à savoir ce qui s’était passé entre la démission annoncée de M. Carnot et sa reprise de possession : je me suis contenté de voter pour la proposition de M. Bonjean ; mais, si l’on réfléchit à cet incident, on ne peut se l’expliquer qu’ainsi : M. Carnot tenait peu au ministère, mais beaucoup, en matière d’instruction, aux idées de son secrétaire-général, M. Jean Raynaud ; il se faisait un point d’honneur de les couvrir jusqu’au bout et à outrance de son ancienneté dans les rangs de la gauche. Le général Cavaignac ne tenait pas à M. Carnot personnellement, mais il tenait beaucoup à la mémoire de M. le comte Carnot, son père, et à tout ce qui s’y rattachait de souvenirs républicains. L’un et l’autre se sont étourdis sur la gravité des circonstances générales pour s’attacher au point de vue particulier qui les flattait : le premier sacrifiait un peu de sa dignité, le second les intérêts sérieux de son gouvernement, pour faire de la politique de caste. M. Carnot fut huit jours de plus ministre de l’instruction publique pour sa naissance : ce fut pour un nom que le général Cavaignac compromit l’alliance désintéressée que lui offraient les hommes d’ordre, prodigues envers lui de leurs témoignages de confiance et d’estime ; ce fut pour cette satisfaction éphémère qu’il ébranla, au bout de huit jours, une autorité qui survécut assurément encore grande et glorieuse, mais qui néanmoins alla toujours déclinant, et pour des motifs puisés dans le même ordre d’illusions et de préjugés.

Dire au commencement de cet écrit que les républicains avaient trop souvent manqué de fermeté après la victoire, c’était soulever une objection spécieuse. Plus d’un lecteur m’aura opposé aussitôt dans sa pensée le général Cavaignac et les journées de juin : c’est là aussi qu’à leur tour ces lecteurs doivent accepter la discussion.

Le décret de transportation fut assurément un acte fort énergique ; mais il fit, pour ainsi dire, partie du combat lui-même : c’étaient les lois de la guerre appliquées par une assemblée tenue, quatre jours durant, sous la détonation du canon ; mais ce n’était pas là de la politique régulière, ce n’était pas là, grace à Dieu, du gouvernement normal. La politique eût visé à saisir les moteurs de cette affreuse guerre civile et à épargner ses aveugles et crédules instrumens. L’intérêt gouvernemental un peu étendu eût exigé qu’on scellât une alliance durable avec la portion du pays qui s’alarmait ; il fallait juger, choisir, guider, écarter, modérer ses amis au moins autant que ses adversaires, et non-seulement la politique demandait cela, mais elle demandait qu’on le fit opportunément, de plein gré, comme une chose