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qu’à la longue, et, chose étrange, la curiosité semble s’accroître à mesure qu’on la satisfait. Quand on sait infiniment, on désire apprendre plus encore, et il est à remarquer que ceux-là seuls ne veulent rien voir qui n’ont jamais rien vu. En outre, il est nécessaire d’avoir contemplé les grands spectacles de la nature pour comprendre et pour aimer ses merveilles moins apparentes, car la nature ne se livre pas au premier venu : c’est une divinité chaste et sévère qui n’admet dans son intimité que ceux qui l’ont mérité par de longues contemplations, par une adoration constante, et je crois fermement qu’il faudrait avoir fait le tour du monde pour faire très agréablement et très utilement le tour de son jardin. Si plusieurs années de jeunesse dépensées à courir sur terre et sur mer donnent quelque autorité en matière de voyages, j’ai bien le droit de dire qu’en aucune de mes courses lointaines je n’ai trouvé plus d’intérêt et de plaisir que dans la petite tournée que je veux conter.

Nous étions donc quatre, tous jeunes, gais, alertes, vêtus en chasseurs, allant droit devant nous, sans parti-pris, sans itinéraire fixé d’avance, marchant à l’aventure dans les landes désertes, respirant en liberté l’âpre senteur des genêts, courant de colline en colline sans autre point de repère que le sommet d’une montagne qui nous indiquait la direction du pays bas. Nous nous aperçûmes, après quatre heures de marche, que cette montagne était encore fort éloignée, et que le soleil s’abaissait vers l’horizon. Déjà nous avions laissé derrière nous la partie la plus sauvage du département de la Corrèze. Aux bois de pins et de bouleaux succédaient de grandes châtaigneraies, des champs cultivés remplaçaient les bruyères stériles, des maisons montraient çà et là leurs toits de chaume, et quelques laboureurs isolés nous regardaient passer avec stupeur. À vrai dire, nous avions l’air passablement patibulaire. Dans cette pauvre contrée, où chacun vit au jour le jour sans quitter son enclos, sans entendre jamais les bruits du dehors, quatre maraudeurs barbus, évitant les routes frayées, marchant à grands pas à travers les chaumes et les halliers, n’étaient pas une ordinaire rencontre. Parmi ces paysans naïfs et qui, malgré leur naïveté, votent effrontément et toujours pour les socialistes, les uns tournaient la tête et s’écartaient de notre route ; les plus braves nous criaient Ount onas, vous ses marris ! (où allez-vous ? vous vous êtes perdus !) Nous passions en riant, et ce fut pour nous une bonne chance de ne point rencontrer la gendarmerie. Les aventures non plus ne se montraient pas, quand heureusement le ciel nous prit en pitié. Les nuages s’amoncelèrent tout à coup, et, pour varier nos émotions, un effroyable orage s’effondra sur nos têtes. Ce fut le premier événement de notre voyage. Transpercés en une minute par une pluie diluvienne, nous nous élançâmes avec une ardeur de soldats montant à l’assaut vers un