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dorées, où l’on surprend à l’improviste les usages d’un autre siècle ; on est tenté d’y chercher dans la poussière la trace récente des derniers habitans, d’écouter si le bruit de leurs pas ne retentit point dans la pièce voisine. Un raffiné passerait tout à coup dans l’ombre avec ses bottes garnies de dentelles, ses éperons d’or et son feutre relevé ; on en serait peu surpris, et c’est sous cette forme que l’on se représente les hôtes de Castelnau. Bien que la construction première du château remonte au XIe siècle, on ne retrouve guère l’empreinte de cette époque, sauf dans les fresques naïves de la chapelle ; le reste a été refondu ou reconstruit plus tard. Tout révèle ce temps indécis de Louis XIII, où l’architecture avait tout à la fois perdu les imposantes proportions du moyen-âge et oublié l’art délicat de la renaissance ; cependant tout est large, vaste et fort : cent chevaux vivraient à l’aise dans les écuries voûtées, des bataillons entiers pourraient manœuvrer dans les cours, s’embusquer sur les murs ; les citernes sont immenses, les caveaux sans fin, et j’imagine qu’aux jours de trêve, dans ces longues galeries, bien des châtelaines promenaient leurs dentelles de Malines, leurs essaims de pages enrubannés, et miraient dans les glaces de Venise ces belles têtes hautaines, ces cheveux bouclés et ces sourires vainqueurs pour lesquels, en ces jours de chevalerie expirante, on savait encore combattre et mourir. Le XVIIe siècle a été le dernier siècle des femmes, M. Cousin a eu raison de le dire et de le montrer si bien[1]. Elles sont l’ame de cette époque galante et guerrière dont on redira long-temps l’étourdissante histoire. Il est passé le temps de ces vaillans coups d’épée, de ces intrigues folles, de ces amours changeans, de ces duels sans trêve, où l’on jouait chaque matin sa tête contre un sourire, où Mme de Chevreuse combattait Richelieu. L’ambition et l’amour ne donnent plus ces grands vertiges qui ont bouleversé tout un siècle : nous luttons maintenant pour des balles de coton ou des tonneaux d’opium ; et peut-être nos discussions profiteront-elles mieux à l’avenir que les dernières luttes de la féodalité ; mais, quand on visite ces grands débris où le passé semble, comme à Castelnau, respirer encore, on n’a pas, si bon patriote que l’on soit, d’enthousiasme pour la France actuelle.

Castelnau avait pour moi un attrait particulier dont je dirai deux mots. Il est rare que l’on soit exclusivement de son temps ; chacun a dans le passé un idéal et comme une seconde patrie. Certaines époques ont le privilège d’attirer surtout notre pensée, et il semble qu’elle s’y trouve, en y retournant, dans un pays bien connu. Sans croire précisément à la transmigration des ames, on peut par instans se

  1. Voir les Femmes du dix-septième siècle dans la Revue des Deux Mondes du 15 janvier 1844.