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des vignerons, par cette matinée claire et embaumée, ne me semblait avoir rien à envier au sommeil tourmenté, aux veilles inquiètes de ceux qu’on nomme les heureux de ce monde. Je respirais l’air pur avec une ivresse digne des fades héros de Florian. On dit que les hommes vertueux aiment à voir lever l’aurore ; cela m’étonne. Après le repos de la nuit, quand toutes nos facultés ont repris leurs forces, que nous respirons dans une tiède atmosphère le parfum pénétrant des plantes rafraîchies par la rosée, quand la terre retrouve sa beauté, que la nature entière semble sourire, l’ame s’ouvre à l’espérance ; on sent fermenter en soi, si l’on est jeune, la sève de la jeunesse, et je crois que la vertu serait, à tout prendre, plus facile le soir, à ces heures tristes où le soleil s’éteint, où les fleurs se ferment, où la pensée fatiguée s’affaisse et se livre au charme mélancolique des souvenirs.

J’arrivai fort essoufflé sur la plate-forme au-dessus de laquelle se dressent audacieusement les vieilles tours carrées et noires de Saint-Laurent. Le soleil, qui est toujours jeune et qui sait tout rajeunir, inondait de ses gais rayons, sans pouvoir cependant leur rien ôter de leur tristesse, ces masses sombres qu’il avait vues s’élever il y a quelques siècles et qu’il regardait crouler maintenant du haut de son trône éternel. Le pays tout entier est dominé par ces deux tours, qui se rattachaient, s’il faut en croire les chroniqueurs, au château de Turenne en Limousin, par une ligne d’ouvrages fortifiés dont on voit encore les vestiges à Martel et à Montvalent. Pareilles de forme, quoique inégales de hauteur, elles ne sont remarquables que par l’extrême solidité de leur architecture massive. Suivant les historiens indigènes, ces ruines seraient d’origine romaine. Ils citent à l’appui de leur dire l’opinion d’un chroniqueur du XIIe siècle, Aymeric de Saint-Céré, lequel déclare que les Romains avaient établi un camp en cet endroit, et ajoute qu’au VIIIe siècle ce château appartenait à Serenus, personnage fort puissant en Aquitaine. Ce Serenus, d’après Aymeric de Saint-Céré, avait une fille charmante qui s’appelait Espérie, et un fort mauvais voisin nommé. Elidius. Elidius, qui trouvait Espérie fort à son gré, s’avisa de lui faire un jour des propositions malhonnêtes, et, comme la jeune fille ne voulut pas l’écouter, il lui trancha la tête, au bord de la rivière, à l’endroit où la ville Saint-Céré ; nommée d’abord Sainte-Espérie, fut dans la suite bâtie autour de la chapelle expiatoire élevée aux mânes de cette vierge martyre. À cette lamentable histoire je n’ai pas d’objections ; mais, quant à l’origine romaine des deux tours, je me permettrai de la contester. Il sera même inutile de faire, sur la façon dont elles sont bâties, de pédantesques dissertations, et un seul fait, qu’apprécierait un écolier, suffit à renverser toutes les conjectures des archéologues du Lot. Ce fait est celui-ci. La clé de voûte de la grande tour porte encore les traces très visibles d’un écusson, et ces armoiries