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vigoureux et persistant de la première loi de la vie militaire. — la discipline. Sa pensée, c’est celle de Cordova, qui disait « qu’il faut tenir l’armée le front à l’ennemi, le dos tourné aux partis. » Dans cette crise politique de 1838, où il se trouvait à Madrid, à la tête de soldats formés par lui, dévoués et pleins d’ardeur, les excitations ne lui manquaient pas ; peut-être aurait-il eu peu à faire : il résistait à ces séductions et refusait de se prêter aux combinaisons des partis. Et dans cette triste affaire de Séville même, on le voit encore préoccupé du soin de garantir les troupes du contact de l’émeute : il était là, au fond, ce qu’il était en 1836, quand il préservait sa division de la démoralisation qui avait gagné toute l’armée, ce qu’il était en 1838 à Madrid, au milieu des partis, qui n’eussent pas demandé mieux que de devoir un succès à son épée. C’est surtout depuis 1843 que le général Narvaez a employé cette énergique activité dont il est doué à bannir la politique de l’armée, à y rétablir les notions d’ordre et d’obéissance ; aussi l’habitude des conspirations militaires disparaît-elle au-delà des Pyrénées. L’Espagne a aujourd’hui une armée disciplinée et fidèle qui peut marcher au combat pour la pacification intérieure, et qu’on a pu voir, pour la première fois depuis long-temps, figurer avec honneur hors de la Péninsule. Dans une circonstance où le général Narvaez, momentanément éloigné du pouvoir, venait d’être investi du titre un peu vague de généralissime, on l’accusait lui aussi, d’aspirer à se créer une de ces situations militaires irrégulières qui ne laissent plus de liberté aux délibérations politiques. Et que répondait-il ? — Les ministres sont-ils d’avis de m’envoyer comme capitaine-général dans une province ? disait Narvaez, je suis prêt à obéir ; veut-on me mettre en simple sentinelle au palais ? je suis prêt encore. — Peu après, on lui donnait l’ordre de quitter l’Espagne, et il s’éloignait. Cela ne veut pas dire que l’autorité politique du général Narvaez ne s’accroisse point naturellement de toute son autorité militaire ; cela veut dire qu’il a un sentiment exact et élevé de cette distinction que je signalais entre un général devant aux circonstances aussi bien qu’à ses qualités propres une influence puissante dans la politique, et un général dictant ses volontés à la tête de son armée, faisant sentir la pointe de son épée dans les délibérations régulières des conseils. Au point de vue militaire, c’est là un des côtés par où diffèrent Espartero et Narvaez, et par où s’explique la diversité de leur action en Espagne.

À un point de vue politique plus général et plus élevé, Espartero et Narvaez ne diffèrent pas moins par la nature de l’action qu’ils ont exercée. Il y a en Espagne une institution ayant sa racine dans les mœurs du pays, qui n’est pas seulement la forme naturelle et traditionnelle du pouvoir, mais qui, par une singulière fortune, en présence de la force d’inertie et de la puissance de l’habitude inhérentes