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soit d’ailleurs l’éloquence du poète, ne puisse fournir les élémens d’une composition pathétique. Les vérités entrevues par la philosophie antique et proclamées par l’Évangile ne paraissent pas se prêter volontiers aux combinaisons de la scène. Pour ma part, je n’ai jamais accueilli avec sympathie les prétentions dogmatiques de l’imagination ; je crois qu’il faut laisser à chacune de nos facultés ses droits et sa mission, et ne pas confier à la fantaisie le soin d’une démonstration que la raison seule peut concevoir et achever d’une façon victorieuse ; mais si l’art dogmatique ne peut être accepté par la réflexion, si la confusion des rôles départis à chacune de nos facultés est une des erreurs les plus considérables du temps où nous vivons, je ne pense pas pourtant qu’on doive proscrire d’une manière absolue la mise en scène d’une vérité démontrée par la philosophie. Si les personnages raisonnent et discutent au lieu d’agir, c’est une œuvre condamnée au dédain et à l’oubli ; un plaidoyer dialogué ne sera jamais une action dramatique. Si le poète, comprenant nettement la nature et les limites de sa mission, évite avec prudence tout ce qui pourrait ressembler aux déclamations des rhéteurs, à l’argumentation des philosophes, si, par la toute-puissance de sa fantaisie, il réussit à douer de vie les sentimens égoïstes et les sentimens généreux qui se disputent le gouvernement de la société humaine, alors la thèse disparaît, les prétentions dogmatiques s’évanouissent, ou se laissent à peine deviner, et la fantaisie ne peut être accusée d’empiéter sur les droits et la mission de la raison.

L’auteur de Claudie me semble avoir parfaitement compris la distinction que j’établis entre l’art dogmatique et l’art purement poétique. Autant le premier est faux et languissant, autant le second est libre dans son allure, rapide et imprévu dans ses mouvemens. La faute, le repentir, le pardon, la charité, ne fourniraient qu’une déclamation vulgaire au poète qui se prendrait pour un philosophe. Entre les mains de George Sand le pardon évangélique est devenu un poème simple et touchant. Plus d’une fois, en lisant ses livres, nous avons regretté la confusion de la philosophie et de la poésie ; trop souvent l’auteur parlait en son nom, au lieu de laisser parler ses personnages, ou mettait dans leur bouche ce qu’il ne voulait pas dire lui-même. Dans Claudie, il s’est modestement effacé, et je lui en sais bon gré. C’est à peine si le spectateur devine de loin en loin le poète caché derrière le personnage. Cette modestie est à mes yeux la preuve d’un rare bon sens. S’il est facile, en effet, de pressentir dès les premières scènes l’intention de l’auteur, le but qu’il veut atteindre, si les esprits mêmes qui ne sont pas habitués à réfléchir prévoient sans effort la pensée qui va dominer le poème tout entier, il faut reconnaître pourtant que la clairvoyance du spectateur n’attiédit pas sa sympathie, et c’est à sa prudence, à sa modestie que le poète doit ce bonheur. S’il n’eût pas pris soin de personnifier