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et des bouches muette. Pas un homme n’avait bougé. Similien était déjà depuis plusieurs jours aux arrêts, lorsque trois ou quatre officiers osèrent les premiers hasarder quelques propos sur cette mesure ; enlevés nuitamment, ces officiers furent conduits par mer dans les cachots du môle Saint-Nicolas, et on ne parla plus.

Après mûres réflexions, Similien trouva le mot de l’énigme. La population et l’armée attendaient évidemment pour se soulever en sa faveur que Soulouque fût engagé dans sa prochaine expédition contre Santo-Domingo ; elles n’avaient affecté l’indifférence que pour mieux cacher leur jeu. Soulouque entra en effet en campagne le 5 mars 1849 ; et, à partir de ce jour, Similien, persuadé que, d’une heure à l’autre, ses amis les mulâtres et les meneurs ultra-noirs allaient venir, bras dessus, bras dessous, le supplier d’accepter la présidence, ne prit même plus la peine de dissimuler son légitime espoir. Six semaines cependant s’étaient déjà écoulées dans cette fiévreuse attente, et le futur président commençait à devenir inquiet, lorsque enfin un mouvement inusité se fit autour de sa maison.

Vu la chaleur, Similien se trouvait justement dans un état de toilette qui rappelait bien plus la tenue d’apparat d’un chef mandingue que celle d’un président haïtien. Craignant de compromettre la majesté de son début, il sauta à la hâte sur son uniforme, en criant au groupe nombreux qu’il entendait déjà pénétrer dans sa demeure de vouloir bien attendre ; mais telle était l’impatience des visiteurs, qu’ils forcèrent la porte, se saisirent de Similien, le portèrent en un clin d’œil dans la rue, et de là le poussèrent à coups de crosse non vers le palais, mais vers la prison. On le jeta demi-nu dans le même cachot d’où David Troy, sa première victime, était sorti quelque temps auparavant pour marcher à la mort, et, rapprochement étrange, ceci se passait le 16 avril 1849, c’est-à-dire un an jour pour jour après la scène de massacre qui avait inauguré le programme de Similien. Par une coïncidence non moins singulière, Similien subissait ici le contre-coup de ces mêmes défiances dont il avait été le principal instigateur. Se croyant en effet sûr de l’élément ultra-noir, il s’était exclusivement tourné, dans les derniers mois, vers la classe de couleur, dont il comptait exploiter le désespoir, de sorte que Soulouque avait fini par ne voir en lui qu’un « conspirateur mulâtre » de plus. Quelques cris de femme, qui semblaient plutôt arrachés par l’étonnement que par la commisération se firent entendre sur le passage de l’escorte qui entraînait l’ancien favori ; mais c’est tout. La portion masculine de la populace, qui naguère aurait brûlé la ville pour faire plaisir à Similien, ne remua pas plus que n’avait remué précédemment la garde. Les « philosophes » (orateurs, beaux diseurs) des quartiers de Bel-Air