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garde d’obéir, et il convoqua le ban et l’arrière-ban des piquets ; mais les mesures avaient été si bien prises, qu’avant d’avoir pu réunir son monde, il fut arrêté aux Cayes, où il s’était aventuré avec une trentaine des siens. Comme on le menait fusiller avec deux de ses lieutenans, le bandit offrit à l’officier commandant l’escorte de le faire son premier ministre s’il voulait le laisser évader, et, chose rare en Haïti, l’officier refusa, bien que Pierre Noir fût parfaitement en mesure de tenir, le cas échéant, sa parole. En croyant ne demander justice que d’un simple coupe-jarret, M. Raybaud avait en effet débarrassé Soulouque d’un conspirateur bien autrement sérieux que Similien. Il fut prouvé que le modeste Pierre Noir n’attendait que le moment où le président se trouverait aux prises avec les Dominicains pour se faire dans le sud un petit royaume africain, à l’exclusion de tout élément hétérogène, c’est-à-dire à l’exclusion des mulâtres, qui auraient été simultanément massacrés sur tous les points de la presqu’île, et à l’exclusion des blancs, qui devaient être massacrés après les mulâtres, en commençant par les deux agens français et anglais. L’exécution de ce hardi coquin, qui devait à dix mois d’impunité un ascendant presque sans bornes, étendit à la populace noire du sud l’impression de superstitieux respect dont Soulouque avait déjà frappé les pillards de Port-au-Prince-Les piquets se bornèrent à manifester leur désolation par un luxe de deuil qui finit par fatiguer le président. — Ça vini trop bête, dit un matin son excellence, et trois nouvelles exécutions vinrent imposer silence aux sanglots des bandits.

Les piquets n’ont reparu à l’état de faction sur la scène que dernièrement. On se souvient qu’une de leurs bandes ayant été repoussée, en 1848, de Jacmel, où elle laissa une quarantaine de prisonniers. Soulouque prit fait et cause pour ceux-ci, destituant les autorités noires de la ville et fusillant les principaux habitans de couleur. La conséquence naturelle d’un patronage aussi éclatant, c’était que Soulouque approuvait le but de l’expédition des piquets ; mais les jours, les mois et finalement deux années s’écoulèrent sans qu’il eût consenti au pillage de Jacmel. Les pillards finirent par murmurer contre ce manque implicite de parole, répétant sur le ton de la menace que les tendances rétrogrades du nouvel empereur n’avaient rien de surprenant, puisqu’il s’entourait de mulâtres. En effet, Soulouque a conservé comme curiosité zoologique, dans sa galerie de grands dignitaires, quelques rares spécimens de la race de couleur. Les rangs inférieurs de l’administration renferment même un assez grand nombre de mulâtres, par la raison qu’il est difficile d’administrer sans écrire, et que la classe de couleur a à peu près le monopole du papier parlé. Les piquets de Jacmel ne visaient enfin ni plus ni moins qu’à substituer à Faustin Ier un empereur démocratique et social de leur façon, et la conspiration avortée