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originale, si l’on veut, scepticisme élégant, nous l’accordons ; mais la décadence n’est pas autre chose.

Encore un mot. Aux premières années du XVIIe siècle, d’un côté le style précieux qu’a raillé Molière, de l’autre le style grotesque et licencieux, excessif et débraillé, qu’a flétri Boileau, étaient diversement, mais fort accueillis. Benserade, Voiture et Mlle de Scudéry faisaient les délices de la bonne compagnie et trônaient dans les salons en oracles du goût ; Théophile, Saint-Amant et Scarron passaient pour gens d’esprit du meilleur sel et modèles achevés de l’originalité poétique et divertissante. Que firent leurs successeurs pour les déposséder d’une renommée ainsi usurpée ? D’autres peut-être auraient outré leurs travers et se seraient perdus dans l’imitation ; eux, mieux conseillés, substituèrent naïvement à la vieille recherche une simplicité qui parut nouvelle, à des jeux de langage et d’imagination usés par l’habitude la sincérité des sentimens, le naturel du discours, éternellement jeunes et bienvenus. La séduction grossière des plaisanteries de carrefours, le maladroit artifice des exagérations hyperboliques, n’obtinrent pas non plus de grace, et les écrits de la génération qui grandissait pour sa gloire et celle de son temps offrirent l’accord heureux d’une expression chaste et d’une pensée juste. De pareils exemples valent les meilleures leçons. Puissent les secrets amans de l’idéal, qui cherchent encore leur route vers les cimes étoilées qu’habite la poésie, en profiter, et, sous le souffle même de l’inspiration, garder en leur esprit constamment présente cette vérité d’expérience, qu’on ne sépara jamais sans perte le beau du vrai, la forme du fond, l’image de la réalité, l’art du but sérieux qui l’éclaire et l’ennoblit !

PATRICE ROLLET.


PIQUE, a novel, in three volumes[1]. — Deux simples pages de traduction suffiraient pour donner un résumé complet de ce roman fashionable. On n’aurait qu’à les prendre vers la fin du troisième volume, alors que deux jeunes et nobles époux, lord et lady Alresford, s’expliquent, après six ou huit mois de perpétuels malentendus, sur les causes de leur désunion conjugale. Ces causes sont fort simples. Lady Alresford (de son nom Mildred Elvaston) était une enfant gâtée, habituée à l’adulation, quelque peu indécise dans ses volontés, quelque peu honteuse de ses indécisions, et par la conduite quelquefois à dissimuler ce qui se passe en elle. Des considérations de famille la déterminent à épouser le beau, le sévère, l’impérieux Alresford, nonobstant un penchant assez prononcé qu’elle éprouve pour un jeune colonel de dragons beaucoup moins digne d’elle, mais beaucoup plus empressé, plus flatteur, plus disposé à lui sacrifier, pour un temps au moins, les fières prérogatives de notre sexe. À la vérité, lorsque Mildred renonce à lui, c’est pour tout de bon, car elle vient d’apprendre qu’il s’est joué de sa candeur, et que, prétendant à sa main, il n’en était pas moins le fiancé d’une autre héritière. N’importe ! le souvenir de cette préférence, que lord Alresford n’a pas complètement ignorée, mais dont on lui a caché certains détails, existe au sein du jeune ménage comme un germe de discorde. Lord Alresford, par orgueil, ne se croit pas aimé ; par orgueil aussi, Mildred se méprend sur la réserve que lui témoigne son mari, et, concentrant en elle-même ses sentimens froissés, elle ne tente pas de le ramener

  1. 3 vol, post octavo, London, Smith, Elder and Co, 65, Cornhill.