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palais et les compagnons de tous ses voyages. Celui de tous les khalifes qui montra au plus haut degré ce noble goût des lettres, et qui fit le plus de frais et d’efforts pour en propager la culture, est sans contredit Almamoun, qui monta sur le trône en 813. Non.content de favoriser les chrétiens nestoriens et les Juifs de ses états qui avaient été jusqu’alors en possession des sciences grecques, il voulut aussi mettre les musulmans à même de consulter les ouvrages originaux qui en contenaient le dépôt ; il rassembla à grands frais tous les livres grecs qu’il put se procurer, et en forma une riche bibliothèque qu’il ouvrit aux savans de sa cour.

Pour connaître l’esprit et les tendances du mouvement intellectuel qui s’opéra chez les Arabes à l’avènement des Abbassides, il est nécessaire de remonter jusqu’à son origine. Ce sont les médecins syriens attachés au service des khalifes qui en furent les promoteurs. Ainsi, dès le principe, ce mouvement prit surtout une allure scientifique. Chez les premiers Arabes, l’art de guérir était fondé sur un empirisme simple et grossier, suffisant pour les besoins d’une société patriarcale et rudimentaire. Il paraît cependant qu’il existait dès lors un centre d’études médicales à Sanaa, dans l’Arabie Heureuse ; mais l’existence de l’école de Sanaa s’explique par le fait que cette contrée, riche de ses productions naturelles et de ses trésors, accumulés par un commerce lucratif qui remontait à la plus haute antiquité, était le foyer d’une civilisation supérieure à celle du reste de la péninsule. Les Arabes fréquentaient aussi en Perse l’école de Djondy Sapour, où étaient professées les doctrines de l’Inde et de la Grèce. Plus tard, l’opulence et le luxe, avec tous les excès qui en sont inséparables, ayant introduit parmi les populations de Bagdad et à la cour des khalifes des maladies inconnues aux primitifs habitans du désert, ces souverains attirèrent auprès d’eux les médecins syriens, qui étaient alors en très grand renom. Dans le nombre, on cite les deux Bokhtjésu et Jean Mésué, employés au service d’Almansour et de Haroun, et qui furent chargés de traduire plusieurs ouvrages grecs de médecine. L’étude de la médecine des Grecs conduisit à celle de leur philosophie, à laquelle il fallait être initié pour entendre les livres qui traitaient de l’art de guérir. C’est ainsi que Galien appuie souvent ses déductions sur les théories d’Aristote. Les médecins syriens et arabes cultivèrent à la fois ces deux branches de connaissances, et Rhazès (Razy), Avicenne (Ibn Sina) et Averroés (Ibn Roschd) se distingnèrent dans l’une et dans l’autre.

L’étude des mathématiques naquit chez les Arabes du goût que ces peuples, et en général tous ceux de l’Orient, ont eu, dès la plus haute antiquité, pour l’astronomie et l’astrologie. Les Grecs leur offraient à cet égard des travaux précieux qu’ils s’empressèrent de leur emprunter, et dont ils firent, comme eux, une application immédiate et féconde à la science géographique. L’un des plus curieux, des plus importans traités en ce genre que les Arabes nous aient laissés, puisqu’il renferme tout ce qu’ils ont su sur cette matière, est celui d’Aboulféda, dont nous essaierons de donner une idée d’après la traduction que vient de publier l’un de nos plus habiles orientalistes, M. Reinaud. Il y a plusieurs années que, s’adjoignant pour collaborateur un savant très distingué, M. le baron de Slane, M. Reinaud a donné avec lui une édition critique du texte original, et pris l’engagement de rendre cet ouvrage accessible à toutes les personnes qui s’intéressent aux études géographiques. La tâche dont vient de s’acquitter M. Reinaud ne pouvait être entreprise avec