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faire remettre au jeune empereur une lettre de la reine Victoria. Quel état le contenu de cette royale dépêche ? que réclamait l’Angleterre au milieu du bouquet de félicitations qu’elle adressait sans doute, selon les usages de la politesse internationale, au nouveau souverain du Céleste Empire ? On assure qu’il était encore question de l’éternelle affaire de Canton, que la reine demandait l’extension bénévole des concessions accordées par le traité de Nankin, et qu’elle tirait en quelque sorte une lettre de change, toute gracieuse d’ailleurs, sur la circonstance du joyeux avènement. Quoi qu’il en soit, la royale missive n’a point reçu de réponse, ou plutôt, ce qui est pis, les mandarins chinois, très experts sur l’étiquette, auraient habilement répliqué que le traité réglait la forme des relations et des correspondances entre les deux peuples, et que les Anglais devaient, en conséquence jeter leurs lettres dans la boite du vice-roi de Canton, facteur ordinaire des dépêches adressées à Pékin par les souverains étrangers. M. Bonham est revenu à Hong-kong, battu par le cérémonial chinois, peu satisfait sans doute ; mais, après tout, il ne paraît pas que la mauvaise humeur du diplomate éconduit doive lancer une flotte dans le golfe de Petchili.

Quant au Céleste Empire, serai-t-il- animé d’inteintions plus belliqueuses et disposé à courir une seconde fois la triste chance des combats ? Sans doute le gouvernement de Pékin a ressenti cruellement l’injure qui lui était faite, lorsque, après tant de démonstrations et de bravades, il s’est vu forcé de subir la paix sous les murs de Nankin, la ville impériale. Sans doute encore, en signant le traité, il conservait l’arrière-pensée de tirer un jour vengeance de l’affront et de reprendre, par force ou par ruse, les concessions arrachées par ces étrangers, que le style officiel qualifiait si dédaigneusement de barbares. On ne se résigne pas à rompre d’un trait de plume avec les traditions d’une politique séculaire ; on n’abdique pas ainsi ses défiances, ses haines, ses préjugés, et nous croyons sans peine que, dès 1842, il s’est formé à la cour du vieil empereur Tao-kwang un parti considérable, qui opposait à la sage prudence des signataires de la paix les conseils de la résistance et de la guerre. Nous n’avons pas la prétention de percer les mystères ni de deviner les énigmes de la diplomatie chinoise ; nous ne suivrons pas en quelque sorte pas à pas et jour par jour les démarches, les tendances que l’on a trop complaisamment attribuées à ces deux partis, représentés, l’un par les vieillards obstinés, par les burgraves du palais impérial, l’autre par le vice-roi de Canton Ky-ing et par les mandarins que les malheurs de leur pays avaient mis plus directement en contact avec les puissances étrangères ; mais le fait de ces dissidences est suffisamment attesté par le paragraphe suivant du dernier édit de Tao-kwang, de ce message dicté au lit de mort et destiné à donner une idée si singulière et si pittoresque des documens historiques de la Chine.

« Lorsque les pauvres fous qui habitent au-delà de la frontière occidentale eurent été châtiés par nos troupes, nous avons pu espérer que, pendant de nombreuses années, nous n’aurions pas besoin d’invoquer le secours de leur courage ; mais la guerre éclata sur la côte de l’est et du sud pour une question de commerce, et alors, désireux de ressembler aux hommes des anciens temps qui tenaient l’humanité pour la première des vertus comment pouvions-nous laisser nos enfans innocens exposés aux blessures cruelles de la lance acérée ?