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moyens à la fois, non à la chimérique perfectibilité de l’espèce humaine, rêve des utopistes, mais au perfectionnement réel et pratique, à cette situation normale où un grand peuple trouve la civilisation, l’indépendance et la gloire. Ceux-là sont les premiers entre les plus grands ; ils sont peu nombreux : on en compte un par siècle tout au plus.

Au-dessous de ces génies suprêmes, on trouve des imaginations ardentes, de mâles courages, des caractères hardis, entreprenans, sans scrupule et sans peur, qui écrasent, qui éblouissent leurs contemporains par leur audace, par leur bonheur, par le nombre et l’éclat de leurs triomphes. Personne autour d’eux ne semble les surpasser ni les égaler : ils s’élèvent de toute la tête au-dessus de ce qui les environne ; mais leur puissance est viagère, elle s’étend seulement à quelques générations rapidement écoulées. Dans leur course hâtive, ils ne fondent rien, pas même une famille ; étrangers aux destinées générales de l’humanité, ils ne la secondent pas dans sa marche providentielle ; ils l’entravent au contraire, et lui font faire fausse route. Bien plus, l’obstacle qu’ils ont créé n’est que passager : ce n’est qu’une halte, un temps d’arrêt. Interrompu un moment par leurs efforts, le cours naturel des choses prend après leur passage ; tout recommence ; tout se remet en mouvement, tout marche comme s’ils n’avaient pas été. Incapables de maîtriser les égaremens de leur siècle, ils les subissent, s’y associent et y succombent. Aucune institution ne date de leur nom ; rien de durable ne se rattache à leur mémoire. Ils ont brillé sur la terre, mais ils n’y ont pas laissé leur empreinte : c’est un feu d’artifice éteint, ce sont des personnages épisodiques. Tels sont les Guise.

Les Guise ont tout essayé en effet, et n’ont réussi à rien ; ils ont été tous de vaillans guerriers, quelques-uns de grands capitaines, seul titre auquel ils aient des droits certains. En revanche, ils ont manqué tout le reste. Après avoir examiné avec attention leur politique et ses résultats, sans se laisser éblouir par le mirage trompeur d’une existence prestigieuse et romanesque, on ne sera pas loin de conclure que, s’il n’y eut pas des héros plus brillans, il n’y en a eu guère de plus malencontreux. Ils n’ont dédaigné aucun genre d’ambition ni de convoitise : richesse, domination, pouvoir, ils ont tout poursuivi avec une ardeur infatigable ; ils ont rêvé toutes les couronnes, ils ont désiré les plus hautes sans dédaigner les moindres : la couronne de Sicile comme celle de France ; mais les unes et les autres leur ont échappé également. Toutes ont passé devant leurs yeux avec une rapidité dérisoire ; aucune n’est venue se placer sur leur front, sur ce front qui ne portait pas l’étoile des prédestinés.

Quoique bien supérieurs en intelligence, en noblesse, en talens militaires, à tant d’heureux condottieri leurs contemporains ou à peu près, ils n’ont pu réaliser même la fortune comparativement médiocre