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l’absence de renseignemens, le manque de détails, ce qu’il y a même de colossal, de démesuré dans ces personnages les rejette presque dans le domaine de la fiction. Un nimbe coloré et transparent les enveloppe, mais ils n’en restent pas moins impénétrables. Comme les Alpes, dont les flancs sont baignés de lumière tandis que leurs sommets se perdent dans les nuages, les Carovingiens nous apparaissent à la fois éclatans et obscurs. Organisateurs d’une société détruite, de ce monde féodal dont nous ne sommes plus que les débris, ils n’ont rien de commun avec nous. Même cette autre dynastie française dont la biographie a été racontée naguère avec un art séduisant, ces ducs de Bourgogne, si puissans, si dramatiques, sont déjà bien loin de nous. Il n’en est pas du XVIe siècle comme de ceux qui le précèdent : ce n’est pas la fin d’une époque, c’est le commencement de notre ère.

Les Guise nous plaisent par une sorte d’analogie entre leur temps et le nôtre. Cependant quelle différence ! Le XVIe siècle est visant, plein de chaleur et d’enthousiasme, mélange de barbarie et d’élégance, de combats et de plaisirs, de sang et de fêtes, c’est un carnaval perpétuel, mais un carnaval tragique. Là, point de mélancoliques découragemens, point de tristesse maladive, aucune défaillance de la volonté et du désir ; là, rien de ce qui conduit une génération tout entière à la résignation par la lassitude, rien de ce qui la fait ressembler à une caravane échouée dans le sable. C’est au contraire une activité incessante, infatigable, prodigieuse, un emploi excessif de l’imagination, de l’intelligence et du cœur. Guerre, religion, philosophie, poésie, lettres naissantes, antiquité retrouvée, tous les alimens de la pensée sont avidement, sont passionnément recueillis. Doit-on plaindre une telle époque, et ne se laisse-t-on pas surprendre à l’envier ? Près d’un usage si immodéré des forces humaines réside le charme qui les tempère et les soutient. Quels caractères de femmes qu’Antoinette de Bourbon, Anne de Ferrare, Catherine de Clèves ! Quels noms ! quels souvenirs ! Alors l’énergie n’excluait pas la grace. Voilà pourquoi ces héros qui n’ont pas réussi n’en sont pas moins l’objet d’un intérêt durable et d’une préoccupation constante.

Cependant il y a quelque chose de plus sérieux dans l’intérêt qui s’attache aux Guise ; cet intérêt n’est pas uniquement fondé sur l’amour du pittoresque : leur destinée renferme une haute question religieuse et politique. « Sans les princes lorrains, » a dit Mézeray, répété par la foule des annalistes « la religion ancienne eût fait place aux nouvelles sectes. » Cette assertion ne me semble pas fondée ; je pense au contraire que sans les Guise, sans l’alliage de leurs vues personnelles et de la cause sacrée qu’ils ont embrassée, le protestantisme n’aurait pas pris en France l’extension dont il a été redevable à leur politique irritante et provocatrice. Faible à sa naissance, réprimé par François Ier et par Henri II,