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acteurs n’ont si bien joué leur rôle. Ce qui le prouve, c’est qu’après trois cents ans nous subissons encore le prestige exercé par François de Lorraine, cet habile courtisan de la multitude. On lui attribue la magnanimité, la clémence, le pardon des injures, sur la foi de quelques paroles généreuses démenties par de cruelles actions. J’insiste sur ce jeu concerté entre le duc de Guise et le cardinal de Lorraine. J’y vois un trait caractéristique, qui ne me semble avoir été suffisamment mis en relief, ni par M. de Bouillé ni par aucun des historiens qui l’ont précédé.

Heureusement pour la réputation des deux frères, il y avait en eux. Surtout dans le duc, trop de talens incontestables, trop de supériorité réelle pour leur rendre toujours nécessaire un si fatigant manège. C’est à tort cependant qu’on veut faire du cardinal de Lorraine un grand homme d’état ; rien ne justifie cette assertion. C’était tout au plus un habile diplomate, ce qui est très différent d’un homme d’état. À en juger non par les panégyriques, mais par les actes, le cardinal de Lorraine ne fut jamais qu’un brouillon magnifique. Il n’avait de l’homme d’état que le costume, l’attitude et le masque. En revanche, la nature en avait fait un orateur éminent. Sans doute, l’éloquence de Charles de Guise n’a pas échappé au mauvais goût dont les arts libéraux s’étaient seuls affranchis dans ce beau siècle de la renaissance, et qui infectait la poésie, l’éloquence religieuse ; judiciaire et politique, mais, de l’aveu de tous ses contemporains, le cardinal de Lorraine était puissant par la parole. Il savait séduire et convaincre ; il possédait la voix, l’action, le geste oratoires. S’il imposait dans le cabinet par son rang, par son faste, par l’autorité d’une situation à la fois ecclésiastique et princière ; dans les conciles, dans les conférences, dans les colloques, à la tribune enfin, tous ces secours étrangers lui devenaient inutiles. Il lui suffisait de ne montrer que son talent.

(*) Quant au duc François, c’était le premier capitaine de son siècle, et sur ce point il n’y a ni doute, ni controverse, pas plus chez les contemporains que dans la postérité. Son début cependant ne fut pas heureux. Chargé de défendre le pape contre les impériaux, le duc de Guise se laissa dominer par une préoccupation trop ordinaire à sa famille, et qui finit par contribuer à sa chute. Il ne songea qu’à faire valoir ses prétendus droits sur le royaume de Naples ; il manqua la campagne pour l’avoir conduite uniquement dans ce dessein personnel. Aussi le fougueux Paul IV, peu accoutumé à dissimuler et à se contraindre, n’hésita pas à lui dire que, « dans cette guerre d’Italie, il avait fait peu pour son roi, encore moins pour le saint-siège, et rien du tout pour lui-même. » Cet échec fut bien glorieusement réparé par une série de combats, de sièges, de victoires, qui forment seuls une auréole impérissable autour du nom trop compromis des Guise. La