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La duchesse de Mantoue parvint à tromper la vigilance de ses surveillans : elle réussit à s’échapper et se réfugia dans un couvent de Lorraine, à Pont-à-Mousson ; elle n’y resta pas long-temps. Atteinte d’une maladie de poitrine avancée par le chagrin, elle obtint un logement dans le château de Vincennes. « Ce fut, dit M. de Saint-Simon, sous prétexte de prendre du lait et l’air de la campagne. » Ainsi dans ce lieu d’intrigues et de préséances, des grandes et petites entrées, du tabouret et du bougeoir, dans cette atmosphère où Saint-Simon s’était asphyxié, l’air des champs, l’ombrage des bois, le parfum des fleurs, la paix, le repos, l’éclat du jour, le calme du soir, tout ce qui pouvait assoupir un cœur blessé, rafraîchir une poitrine embrasée, ranimer une jeune femme mourante, tout cela n’était ni un besoin, ni un plaisir, ni un bonheur :… c’était un prétexte. — Malheureusement une mère pensait comme un ennemi. Au lieu d’entourer Suzanne de soins affectueux, ses parens ne songèrent qu’à exploiter au profit de leur orgueil sa grandeur si chèrement achetée. Ils la forcèrent à jouer le rôle de souveraine ; ils en revendiquèrent pour elle toutes les prérogatives ; ils en inventèrent même de chimériques. On n’entendait parler que des prétentions de Mme de Mantoue ; elle refusait la main à telle princesse, elle faisait reculer le carrosse de telle duchesse. À la fin, elle fut brouillée avec toutes les personnes que le respect de ses malheurs et le charme de ses manières avaient attirées en foule auprès d’elle. Profondément soumise à sa mère, à sa famille, elle n’eut pas la force de s’opposer à leurs entreprises, mais elle en sentit vivement le danger ; elle demanda des conseils à Mme de Maintenon ; elle invoqua son appui. « Je suis jeune, lui écrivait-elle, par conséquent sans expérience ; j’ai besoin d’être conduite ; j’ai besoin de votre amitié. » Personne ne prenait pitié d’elle ; elle était méconnue, calomniée ; on lui attribuait des torts qui n’étaient pas les siens. Bientôt on l’accabla de ridicules ; son imperturbable douceur fut taxée de fadeur ou de fausseté[1]. Tout le monde l’abandonna.

Que firent alors ses indignes parens ? La bonne compagnie éclipsée, ils se rabattirent sur la mauvaise, et la cupidité l’emportant sur l’orgueil même, car cette maison si opulente ne vivait plus guère que des bienfaits de la cour, ils attirèrent des aventuriers, des joueurs ; le château de Vincennes devint un brelan public. Jeune, vertueuse, irréprochable, Mme de Mantoue tomba dans le mépris. Enfin la mort vint mettre un terme à un opprobre si peu mérité. La fatigue, les veilles anéantirent ses forces défaillantes ; son mal de poitrine devint incurable. En vain on eut recours aux charlatans, aux empiriques : la duchesse de Mantoue expira à la suite d’une longue et cruelle maladie qu’elle avait

  1. Mme de Maintenon à la princesse des Ursins, t. Ier des Lettres, p. 453.