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de tous qu’il avait épousé sa cousine l’Anglaise, et que la Corina était morte à Rome, etc., etc. Il y eut alors dans la salle un haro général contre le peu d’énergie du caractère de lord Melvil et des pleurs pour la pauvre Corinne. Le mot de l’énigme, c’est que la traduction espagnole était arrivée à Copacabana veuve de son dernier volume. L’ouvrage de Mme de Staël était fort goûté, et partout où il est parvenu, chez ce peuple à sentimens énergiques, il a produit la plus vive sensation.

Le jour fixé pour mon départ, on ordonnait un jeune prêtre, et l’on me promit des fêtes qui ne manqueraient pas d’intérêt pour moi : je restai. À dix heures, il y eut la grand’messe et l’ordination comme partout ailleurs, après la messe un énorme déjeuner où venait qui voulait, et où l’on se bourrait, aux frais du nouveau prêtre, de pâtisseries, de bonbons et d’eau-de-vie ; le soir grand dîner et bal. Nous étions vingt-cinq personnes à table, toutes très serrées les unes contre les autres. Les quatre chanoines, le curé, une demi-douzaine de femmes et moi, nous avions des fourchettes de fer ; le reste mangeait avec ses doigts ou avec des cuillers d’argent, dont il y avait bon nombre et de toutes formes. Debout derrière nos chaises, et pesant sur nos épaules, était un triple rang de convives plus humbles qui d’abord attendirent respectueusement qu’on leur fît passer les portions qui leur étaient destinées, mais qui, vers la fin du repas, animés par la bonne chère et l’eau-de-vie qui circulait largement, se penchèrent sur notre dos pour harponner sur la table les mets qui pouvaient leur convenir. Ces mets étaient de la volaille, du mouton, du porc arrangé de cent façons, mais où dominait toujours le piment rouge, qui vous emporte la bouche quand on n’en fait pas ses plus chères délices. Il y avait aussi des montagnes de friture et de pâtisseries et des baquets de crème, attendu que le lait des pâturages d’alentour est excellent. Enfin la table fut enlevée, et les débris du repas distribués patriarcalement à tous ceux qui se présentaient. Les hommes fumèrent leur cigare, et les femmes s’assirent en rond sur les divans de pierre couverts de tapis qui entouraient l’appartement, l’on se mit à danser les danses indiennes aux sons de la guitare. Ces chants et ces danses, qu’on appelle llantos et yaravis, sont d’une tristesse mortelle. Autant le lundou et le mismis d’Aréquipa sont gracieux et élégans, autant les yaravis et les llantos sont tristes et somnifères ; mais ils ont cela de curieux, qu’ils appartiennent spécialement à la race indienne. Ce sont les danses nationales des anciens Péruviens, et elles ont le cachet de mélancolie et de timidité propre à cette race.

Le bal fut ouvert, par le nouvel oint du Seigneur, qui roula sa soutane toute neuve autour de sa ceinture, et, un mouchoir à la main,