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La jeunesse d’Aréquipa forma un corps d’élite qui fut appelé le bataillon sacré, et l’on sortit bravement de l’enceinte non fortifiée d’Aréquipa pour venir à la rencontre du colonel Saint-R… et de son armée. Il y eut d’abord un combat partiel, puis quelques jours après une véritable bataille, à la suite de laquelle les troupes de Saint-R… dans Aréquipa. Pas de nouvelles du brillant colonel : on le croyait mort, et pourtant son corps n’avait pu être retrouvé sur le champ de bataille. Gamarra, à la suite du bulletin de la victoire, donna des larmes et des louanges à la mémoire du jeune guerrier.[1]

Je me trouvais chez Mme Gamarra et causais avec elle au moment où le galop d’un Cheval résonna dans la cour. Mme Gamarra se leva et courut vers la porte : un courrier entra. « Quelles nouvelles, Sanchez ? — Nous sommes Gamarristes ; répondit celui-ci et Arequipa l’est aussi. » Mme Gamarra laissa échapper un Jésus ! aigu comme un cri de tigresse, et bondit au col de l’officier, couvert de boue et de poussière. Les dépêches qu’il apportait furent ouvertes, parcourues rapidement, puis lues à haute voix. La présidente raconta aux dames, qui lui faisaient respectueusement leur cour et paraissaient partager sa joie, que les lanciers de Saint-R… avaient d’abord été fort surpris de la résistance qu’éprouvaient leurs piques, quand ils frappaient à la poitrine leurs ennemis du bataillon sacré ; mais que bientôt ils s’étaient aperçus que ces gentlemen portaient des cuirasses par-dessous leur uniforme ; et qu’alors ils avaient dirigé le fer de leur lance vers le ventre et le col. Mme Gamarra et les dames du Cusco rirent beaucoup de l’expédient des lanciers. Il y avait dans cette femme l’étoffe de deux généraux ; mais ce devait être une terrible compagne pour un honnête époux. Dona Panchita était à cette époque âgée de trente à trente-cinq ans, elle avait des yeux de feu qui n’annonçaient guère cet âge. Ses habitudes de camp lui avaient donné une allure passablement masculine. Un jour, elle avait rencontré dans l’antichambre de son mari un aide-de-camp du général, qui avait parlé assez lestement de ses vertus : le jeune officier avait une cravache à la main ; dona Panchita lui arracha sa cravache, et lui en appliqua de solides coups en criant : . « Ah ! tu dis que tu m’as… » Ce fut toute l’explication qu’elle daigna lui donner. Un Péruvien très naïf, qui me racontait ce trait connu de tous, ajoutait en portant la main à sa rapière : « Moi, j’eusse tué dona Panchita sur Place. » Le battu fit mieux, il baisa la main de la dame et s’éloigna.

Une fois le général Gamarra parti, le Cusco reprit sa physionomie habituelle, et je pus continuer mes promenades archéologiques. La

  1. Le colonel Saint-R… fut retrouvé. Il parait que sur le champ de bataille il avait douté un moment de la victoire, et qu’il avait prudemment mis quarante lieues entre Aréquipa et lui. Un fidèle aide-de-camp finit par déterrer son chef, et lui apprit qu’il avait vaincu.