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triompher de l’ennemi, de toutes les forces réunies d’un christianisme éclairé et d’un spiritualisme indépendant. » Mais ces efforts ont presque toujours abouti à l’une ou l’autre de ces deux propositions, toutes deux également inacceptables, suivant nous, et pour un sens droit et pour une foi sincère : ou de considérer la foi religieuse et la philosophie rationnelle comme formant deux puissances égales, régnant sur deux domaines séparés et fondées sur deux principes différens, de telle sorte qu’elles puissent se développer côte à côte dans des rapports de politesse diplomatique, sans se contrôler et sans se provoquer l’une l’autre ; ou de donner des mystères de la foi des explications rationnelles délayées dans des effusions mystiques et à demi éclairées par les reflets d’une métaphysique nébuleuse. Séparer la raison de la foi ou expliquer la foi par la raison, supprimer leurs points de contact ou pénétrer leurs substances, c’est toujours sur l’une ou l’autre de ces entreprises que roulent les ouvertures de paix adressées par la philosophie à la religion.

C’est sans doute au premier de ces systèmes que se rattachait, l’an dernier, un homme d’état qui, en sa qualité de très grand orateur politique, n’était pas tenu d’apporter une exacte précision dans de tels sujets. « J’espère, disait M. Thiers dans son discours sur la liberté d’enseignement, que la philosophie et la religion, ces deux sœurs immortelles, l’une régnant sur le cœur et l’autre sur l’esprit, sauront désormais vivre en paix. » Le traité de partage des deux puissances se trouvait ainsi fait d’un trait de plume. L’une avait la pensée, et l’autre le sentiment. Malheureusement leurs ratifications manquaient, et tout permet de croire qu’elles se feront attendre long-temps. Je ne sais si pour sa part la philosophie a renoncé à parler au cœur, si elle a fait son compte de ne plus s’adresser ni à l’amour du bien, ni à l’admiration du vrai, ni à l’enthousiasme de la vertu, si en un mot elle ne prétend plus tantôt à purifier, tantôt à réchauffer, toujours à régler les sentimens de l’ame. Libre à elle de signer son abdication, et, en abandonnant à la religion le cœur de l’homme, la source de toutes les grandes actions, le siège de toute valeur morale, de se mettre elle-même au rang d’un oiseux exercice de dialectique et d’une futile science de mots ; mais je réponds que la religion, de son côté, quelque grand que soit le lot qu’on lui assigne, ne s’en contentera pas : elle a la prétention d’être quelque chose de plus qu’un sentiment ; elle ne sait pas même très nettement, et je crois qu’on serait embarrassé de lui dire, ce que serait un sentiment auquel aucune pensée ne correspondrait. Les dogmes chrétiens, dans leur précision et leur profondeur, sont tout autre chose qu’un recueil d’exhortations touchantes, l’écoulant en larmes pieuses et s’exhalant en élans de ferveur. C’est tout un cours de doctrines qui ne surpasse l’intelligence qu’après l’avoir