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tout trouvé, et il copie les deux manœuvres dans toute leur grossièreté et de grandeur naturelle, de peur qu’un seul détail échappe. Le vieux, qu’on aperçoit de profil, a un chapeau de paille, et un gilet rayé a deux rangs de boutons ; il a ôté sa veste et mis un genou en terre pour travailler ; sa chemise est de toile très grossière, et son pantalon rapiécé ; enfin il porte des sabots, et ses talons malpropres percent à travers des chaussettes de laine usées. Son jeune compagnon charrie les cailloux, et nous ne le voyons que de dos ; mais cette partie de son corps n’est pas sans quelques particularités importantes : une bretelle retenue par un seul bouton une déchirure de la chemise laissant voir le nu de l’épaule, etc. Tandis, que M. Courbet dresse ce signalement, passent quelques paysans de retour de la foire de Flagey, où ils ont acheté quelques bestiaux. — Que nous importe, s’il vous plaît, qu’ils viennent de Flagey ou de Pontoise ? mais il faut être vrai : c’est bien de Flagey (département du Doubs) qu’ils viennent ; l’une a une blouse, l’autre un habit et une casquette de loutre ; Dieu me pardonne ! j’allais oublier que celui-ci ramène un porc et lui a passé une corde au pied droit de derrière. On ne sait qui a l’air le plus gauche ici, des hommes, des bœufs ou des porcs.

Voici venir ensuite une procession lugubre, un prêtre en chape noire, des bedeaux en robe rouge, enfans de chœur, croque-mort, une bière, hommes et femmes vêtus de deuil. Suivons le convoi jusqu’au cimetière d’Ornus ; on n’a pas tous les jours telle fortune de rencontrer si grande et si curieuse réunion. Voilà une aubaine à défrayer vingt pieds de toile et c’est pour le coup qu’il faut entonner le mode épique. L’Enterrement à Ornus constitue en effet l’œuvre capitale, le tableau d’histoire de M. Courbet. Si M. Courbet avait daigné élaborer sa pensée, ajuster les diverses parties en élaguant ou dissimulant celles qui déplaisent au profit des motifs heureux qui pouvaient se rencontrer, il eût produit un bon tableau. Le sujet en lui-même s’y prêtait : il n’est pas nécessaire, pour émouvoir, d’aller chercher bien loin ; les funérailles d’un paysan ne sont pas pour nous moins touchantes que le convoi de Phocion. Il ne s’agissait d’abord que de ne pas localiser le sujet, et ensuite de mettre en lumière les portions intéressantes d’une telle scène ; ce groupe de femmes, par exemple, qui pleurent avec un mouvement si naturel, et que vous avez eu l’adroite inspiration d’écraser par une sotte figure de campagnard en habit gris, culottes courtes, bas à côtes, surmonté d’un ridicule tricorne. Après le rustre que je viens de dire, les personnages les plus apparens du tableau sont deux bedeaux à l’air aviné, à la trogne rubiconde, vêtus de robes rouges, et qu’au premier abord on prend pour les magistrats de l’endroit venant rendre les derniers devoirs à un confrère ; puis vient une file d’hommes et de femmes dont les têtes insignifiantes ou repoussantes