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fusils au canon allongé portés en bandoulière. Ces têtes asiatiques à la peau bronzée au nez écrasé aux grosses lèvres et aux yeux obliques, sont d’un caractère incroyable : les uns ont le turban large et ballonné, d’autres le portent très long en arrière, suivant la mode d’Alep ; il y a aussi des kurdes à l’œil féroce, au nez de vautour, des Circassiens au casque surmonté d’un fer de lance, tous dans ces pittoresques costumes qui, avant peu de temps, ne se retrouveront plus que dans les dessins de M. Decamps. Les uns immobiles, la lance au poing, se rangent en haie sur le passage du séraskier, les autres luttent contre leurs chevaux, qui se cabrent. On entend les chefs crier des ordres, les chevaux hennir, l’eau clapoter sous leur sabot. Je ne crois pas qu’il soit possible de disposer avec plus d’art et de naturel une troupe dans le désordre forcé qu’occasionne le passage d’une rivière, et de dessiner plus finement chaque détail d’un si merveilleux ensemble.

À côté de M. Decamp nous placerons M. Hébert. Il y a plus de plaisir à louer qu’à blâmer et, quand on en trouve l’occasion, il faut la faire durer. Sur un de ces petits bateaux plats qui servent aux transports entre Rome et Ostie, une famille de contadini s’est embarquée pour fuir la malaria. Ils se laissent aller au fil de l’eau. Un homme robuste, jambes et bras nus, se tient debout à l’avant, armé d’une longue perche ; à l’arrière, un petit pâtre au chapeau pointu une vieille tenant sur ses genoux un bambino tout nu comme ceux qui inspiraient Raphaël, et deux jeunes femmes, dont l’une tremble sa fièvre, enveloppée dans son manteau brun, tandis que l’autre, qui tourne le dos au spectateur, se renverse avec grace en laissant pendre sa main hors de la barque. Le contraste est bien exprimé entre la figure jaune et souffrante de la première femme et l’autre, qui assurément n’a pas la fièvre, à en juger par le ton chaud et sain de ses bras et de son cou, sur lequel descend une riche chevelure blonde. Les rives escarpées ont bien leur aspect morne et triste, le ciel est plombé comme dans un jour de sirocco, et la brume empestée de l’atmosphère se reflète sur les eaux lentes du Tibre, que rasent des hirondelles noires. Quelques détails de vive couleur rompent très heureusement l’harmonie étouffée de ce tableau, qui place M. Hébert aux premiers rangs. L’an dernier, si nous avons bonne mémoire, M. Hébert s’était un peu égaré en des fantaisies mignardes. Dans la Malaria, il déploie toutes ses qualités, un sentiment distingué, une couleur brillante, et, à travers le fondu de la touche, son dessin est très ferme et très sûr. Dans le portrait de Mme ***, on retrouve les mêmes mérites ; c’est une tête fine, délicate et d’une exquise douceur.

Le procédé de M. Vetter ressemble à celui de M. Hébert. Sa touche est grasse, harmonieuse. M. Vetter a plusieurs portraits ; une Étude à la lampe et une petite figure intitulée Rabelais, représentant un personnage