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branche, ils mourront. Ils mourront, et cette altération des vieilles mœurs qui causera leur mort sera visible jusqu’en ces cœurs fidèles ; ils mourront sans maudire ceux qui les tuent ; ils mourront chrétiennement, avec une angélique patience. La disparition de l’antique âpreté judaïque qui semble se fondre peu à peu et s’exhale en religieux parfums sous les rayons d’une société plus humaine, voilà le sujet qu’affectionne M. Kompert. La Seconde Judith n’est peut-être qu’une indication de l’ancien fanatisme destinée à faire mieux ressortir les modifications morales dont il va tracer l’histoire, histoire à la fois douloureuse et charmante, puisqu’il y a là tout ensemble de fortes convictions qui souffrent et de rudes passions qui s’éteignent. Tantôt il peindra avec une sympathie pénétrante les tristesses résignées des derniers croyans, à l’heure où ils emportent dans la tombe les préceptes et la foi de leurs ancêtres ; tantôt il montrera des ames candides obstinément dévouées au culte national, mais incapables de ressentir désormais les haines des temps passés et introduisant sans le savoir au sein de leurs traditions altières la mansuétude de l’esprit chrétien. Une foi inflexible, une sourde ardeur de vengeance, tels étaient les sentimens secrets de ces peuples : eh bien ! il s’attachera surtout à révéler les atteintes que subit cette foi, il aimera à montrer la résignation la plus douce prenant la place de l’esprit de vengeance. Les vieux Juifs disparaissent, les vieilles haines s’évanouissent ; je ne sais quoi de triste et de doux remplace l’énergie redoutable de la race qui se transforme. Il semble par instans qu’on entende les derniers soupirs d’une religion qui meurt.

Un des plus émouvans récits de M. Kompert est celui qu’il intitule les Enfans du Randar. « C’est l’habitude, dit l’auteur, de refuser aux Juifs la naïveté et la bonhomie ; l’erreur est grande : sans doute le Juif du Ghetto est ordinairement rusé et prompt à la raillerie ; on sait trop ce qui l’y oblige : la raillerie est l’arme de l’opprimé. Si le Juif de la campagne, plus heureux que son frère du Ghetto, connaît les jouissances de la nature et entend chanter l’alouette dans les blés, d’un autre côté sa part n’est pas la meilleure ; il manque de cette verve originale, de cet esprit aiguisé et agile qui est souvent une défense si précieuse. Vraiment, faut-il l’en plaindre ? » On ne l’en plaindra pas, si on lit le portrait de Rebb Schmul, le plus riche randar de la contrée[1]. Ce n’est pas seulement une rustique auberge qui est administrée par Rebb Schmul ; il a affermé aussi les domaines, les champs de son riche propriétaire, et tout cela, terres et auberge, prospère merveilleusement entre ses mains. Rien de plus gai, rien de plus aimable

  1. Le randar est le fermier d’un cabaret de village. Arrendator, donneur d’arrhes, serait le nom véritable, mais le jargon des Juifs autrichiens l’a défiguré de cette manière.