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Qui tombe dans le Djebel-Amour.
Ô temps ! sois maudit si elle vient à m’oublier !
Ce serait la gazelle qui oublie son frère.


Les chevaux seuls peuvent disputer aux femmes le privilège d’une tendresse enthousiaste dans une ame de musulman. Le cheval est, chez les Arabes, élevé à la dignité d’une créature animée par la raison. Le cheval Bourack a sa place au paradis parmi les saints ; les houris et les prophètes. Nous avons vu quelles vertus a son chelil, ce merveilleux talisman qui est le partage du vrai croyant. Aussi toute la complaisance que les Arabes mettent à décrire les beautés de leurs femmes, ils la mettent également à peindre la grace énergique et fière de leurs chevaux.

Sidi Hamra possède une jument gris pierre de la rivière,
Qui ne fait que caracoler.
Il possède une jument rouge
Comme le sang qui coule aux jours de fête[1],
Ou bien comme le fond d’une rose.
Il possède encore une jument noire
Comme le mâle de l’autruche
Qui se promène dans les pays déserts.
Il possède enfin une jument gris pommelé,
Qui ressemble à la panthère
Que l’on donne en présent à nos sultans.


Voilà ce que nous débita le Chambi d’une voix aussi caressante que s’il nous eût dépeint les charmes des plus merveilleuses beautés du désert. Il nous dit aussi :

Je veux un cheval docile
Qui aime à manger son mors,
Qui soit familier avec les voyages,
Qui sache supporter la faim,
Et qui fasse dans un jour
La marche de cinq jours ;
Qu’il me porte auprès de Fatma,
Cette femme aussi puissante que le bey de Médéah,
Lorsqu’il sort avec des goums et des askars
Au bruit des flûtes et des tambours.


Les Arabes sont infatigables dans la parole comme dans le silence. Ce sont en tout les hommes des extrémités. Les voilà pour des journées entières à cheval, dévorant les plaines, se riant des montagnes, ou bien les voilà devant leurs tentes, couchés sur des nattes, les regards fixés sur leurs vastes horizons, pour une suite indéterminée d’heures ! Mon Chambi, si je ne l’avais pas arrêté, me réciterait encore les poésies du désert. La poudre, les chevaux, les chameaux, les cris de jeunes filles, ce pauvre homme avait évoqué tous les bruits,

  1. Aux jours fériés, on saigne, chez les musulmans, un grand nombre d’animaux qui sont ensuite dépecés et distribués aux pauvres.