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La légende du fils d’Artaxès passa dans la Géorgie, où elle se perpétue encore, mais elle s’y imprégna d’une couleur chrétienne. — Une femme, surprise en chemin par les douleurs de l’enfantement, mit au monde un enfant qui reçut le nom d’Amiran ; elle souhaitait ardemment pour lui le baptême, mais il n’y avait là personne qui pût remplir son pieux désir. Elle était en proie à une perplexité extrême, lorsqu’un vieillard se présente, qui imprime à l’enfant le sceau du christianisme et promet, d’après le vœu de la mère, de demander à Dieu pour lui une très grande force corporelle. La prière du saint homme fut exaucée, et lorsque Amiran fut parvenu à l’adolescence, doué d’une vigueur surhumaine, il accomplit les prouesses les plus extraordinaires. Enflé par ses succès, il porta la présomption si loin, qu’il osa défier le ciel lui-même. Dieu, irrité, l’attacha avec des chaînes de fer dans une des gorges du Caucase. L’épée d’Amiran gît à terre, tombée près de lui. Il ne lui reste que son chien fidèle, qui lèche continuellement ses chaînes pour tâcher de les amincir et de le délivrer. Le géant au cœur endurci attend avec impatience le moment où, dégagé de ses fers, il pourra aller assouvir se vengeance ; mais l’œil de Dieu ne se ferme jamais. Chaque année, le jour du jeudi saint, sort des entrailles de la terre un forgeron qui vient raffermir les chaînes du captif et les fixer au rocher plus fortement que jamais.

Après avoir relevé tout ce que le temps a épargné des chants populaires et des légendes de l’Arménie païenne, il serait curieux de savoir dans quelles occasions, dans quelles fêtes religieuses ou nationales retentissaient les refrains de ces ballades. Moïse de Khorène et les écrivains venus après lui sont muets sur ce point. La seule indication que nous fournisse Moïse est que ces poésies étaient chantées par les enfans d’Aram (Arméniens) dans des représentations solennelles, et qu’elles étaient accompagnées de chœurs de danse. Plusieurs fois il répète que la voix des chanteurs se mariait au son du luth ou pampirn. On pourrait aussi conjecturer, de quelques paroles de Mar Iba Katina, que ces ballades circulaient dans la vie intime et journalière des populations.

De nos jours, le génie poétique de la vieille Arménie n’est pas éteint ; il vit toujours dans les mêmes lieux dont ses accens éveillèrent autrefois les échos. À défaut des patriotiques souvenirs d’une nationalité évanouie depuis bien des siècles, il a su s’ouvrir de nouvelles sources d’inspiration. Un savant Arménien, qui a parcouru, il y a quelques années, les pays d’où il est originaire, M. J.-B. Emine, professeur à l’institut des langues orientales fondé à Moscou par MM. de Lazareff, m’écrivait dernièrement ces lignes : « Un des anciens élèves de notre Institut, établi à Tiflis, homme d’une instruction solide, s’occupe à recueillir les chants populaires de l’Arménie ; il compte les publier dans peu de temps. La richesse de ces chants, auxquels personne jusqu’à