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CARACTÈRES ET RÉCITS.

chasses à courre et dans les steeple-chase, mais elle venait de rompre avec un des derniers coryphées de la causerie française, et elle avait juré, disait-elle, une haine éternelle à tous les plaisirs de l’esprit. Elle affirmait que, si elle honorait encore une créature mortelle de son amour, ce serait un de ces êtres énergiques et bornés qui sentent fortement et n’analysent rien de ce qu’ils sentent. Parmi les femmes qui ont mené la vie de Mme d’Éponne, il n’en est point du reste à qui cette phase ne soit connue. Cette condition de certaines existences a fait formuler par quelqu’un cet axiome : « Il y a fatalement un jour où la belle se met à la recherche de la bête. »

Mme d’Éponne crut sa recherche finie, quand elle rencontra le comte Oleski. Elle vit pour la première fois Ladislas à cheval, dans un costume qui faisait merveilleusement ressortir des formes dignes d’être reproduites par un sculpteur. Ladislas était un intrépide cavalier ; il s’élançait à travers l’espace avec la fougue d’un Arabe, et franchissait sans nécessité les plus périlleux obstacles avec l’impassibilité dédaigneuse d’un Anglais. Elle s’exalta pour lui autant qu’elle pouvait encore s’exalter. Je n’ose point dire avec quelle rapidité Oleski réussit auprès d’une femme qui avait coûté quelquefois de longs et infructueux efforts aux plus habiles stratégistes en matière de galanterie.

Aussi il arriva ce qui devait nécessairement arriver. Ladislas ne fut que très médiocrement ébloui de son triomphe. Il ne vit, dans ce qui devait être le grand événement de toute sa vie, qu’un incident semblable à nombre d’autres dont il avait perdu le souvenir. Les chasses finies, on se dispersa. Oleski se rendit à Florence, où il s’éprit à son habituelle manière, c’est-à-dire en n’engageant pas son cœur dans la partie, d’une danseuse qui avait déjà mis à mal un archiduc et deux princes régnans. Il se rappelait à peine qu’il existait une marquise d’Éponne, quand, vers le mois de janvier, il revint à Paris. Valérie, au contraire, se souvenait du beau chasseur avec un sentiment très prononcé de tendresse. La conduite de Ladislas avait vivement agi sur un caractère tel que le sien, car il est inutile de dire qu’elle était de ces malheureuses natures qui prennent feu à l’indifférence et se glacent à l’affection. Elle se mit donc à poursuivre un amour qui fuyait devant elle avec la plus ostensible ardeur. Ladislas fit une de ces coupables et douloureuses sottises que plus d’une conscience, à coup sûr, s’est déjà reprochées. Avec cette légèreté insouciante d’un autre siècle qui, chez quelques hommes, en définitive est fort loin encore d’avoir disparu, il se laissa plaisanter et plaisanta lui-même sur la poursuite dont il était l’objet. Il faisait de continuelles allusions aux nombreuses fantaisies qui avaient tyrannisé déjà Mme d’Éponne, à tous les tendres secrets qu’elle avait complaisamment jetés dans l’oreille du public.