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son fort, et l’on comprendra comment se forma de bonne heure contre lui ce que La Harpe appelle très bien un foyer de haines secrètes et furieuses qui ne visaient à rien moins qu’à le perdre entièrement. Ce furent d’abord des tracasseries, des embûches, des impertinences, qui mettaient à l’épreuve sa présence d’esprit et son énergie. On connaît l’histoire de la montre. Un homme de cour qui s’était engagé à déconcerter Beaumarchais l’aborde en présence d’un grand nombre de personnes au moment où il sortait en habit de gala de l’appartement de Mesdames et lui dit en lui présentant une fort belle montre : « Monsieur, vous qui vous connaissez en horlogerie, veuillez, je vous prie, examiner ma montre, qui est dérangée. — Monsieur, répond tranquillement Beaumarchais, depuis que j’ai cessé de m’occuper d’horlogerie, je suis devenu très maladroit. — Ah ! monsieur, ne me refusez pas cette faveur. — Soit ; mais je vous avertis que je suis maladroit. » Alors, prenant la montre, il l’ouvre, l’élève en l’air, et, feignant de l’examiner, il la jette par terre ; puis, faisant à son interlocuteur une profonde révérence, il lui dit : Je vous avais prévenu, monsieur, de mon extrême maladresse, — et il le quitte en le laissant ramasser les débris de sa montre.

Un autre jour, Beaumarchais apprend que l’on a fait croire aux princesses qu’il vivait au plus mal avec son père, et qu’elles sont fort indisposées contre lui. Au lieu de réfuter directement cette calomnie, il court à Paris, et, sous prétexte de montrer à son père le château de Versailles, il l’emmène avec lui, le conduit partout et a soin de le faire trouver plusieurs fois sur le passage de Mesdames ; le soir, il se présente chez elles, laissant son père dans l’antichambre. On le reçoit très froidement ; cependant une des princesses lui demande par curiosité avec qui il s’est promené toute la journée. — Avec mon père, répond Beaumarchais. Étonnement des princesses. L’explication se produit naturellement. Beaumarchais sollicite pour son père l’honneur d’être admis devant Mesdames, et c’est le vieux horloger qui se charge lui-même de faire l’éloge de son fils. On sait qu’il était capable de s’en acquitter parfaitement.

On a écrit que Beaumarchais aurait encouru le mécontentement de Mesdames par un propos qui serait non pas d’un fat, mais d’un sot. On a raconté qu’ayant vu un portrait en pied de Madame Adélaïde jouant de la harpe, il aurait dit devant la princesse : — Il ne manque à ce tableau qu’une chose essentielle, le portrait du maître. — Ce conte absurde a précisément pour origine une de ces mille petites méchancetés de cour tentées contre un jeune parvenu dont la faveur offusquait. On avait envoyé à Mesdames un éventail sur lequel était représenté le petit concert qu’elles donnaient chaque semaine avec tous les personnages qui y étaient admis ; seulement on avait oublié avec intention