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MADEMOISELLE DE KŒNIGSMARK.

casse pas davantage la tête de cette histoire, que ledit gentilhomme est un libertin fieffé, habitué à vivre dans la débauche, et qu’on ne sait pas en somme ce qu’il est devenu. » Cependant il paraît que la cour de Saxe trouva mauvaise cette fin de non-recevoir. Les négociations à ce sujet devinrent plus pressantes, les envoyés plus curieux, et peu s’en fallut qu’une rupture n’éclatât entre la Saxe et le Hanovre. Grâce à l’intervention officieuse, des ministres d’Angleterre et de Pologne, l’affaire pourtant se calma, et bientôt le cabinet saxon, ayant acquis la certitude que le comte de Kœnigsmark était mort, et bien mort, accepta le fait accompli et laissa tomber la chose. « Les amourettes portent malheur dans ce pays, écrit ce même M. Stepney à M. Cresset, chargé d’affaires d’Angleterre à Hanovre ; nous avons eu ici nos catastrophes, et vous venez à votre tour d’avoir chez vous la tragédie. C’est une aventure tout italienne que celle-là, et je crains bien que le poignard et le poison des Borgia et des Castracani ne finissent par s’acclimater sous votre ciel. Vos princes ont voyagé par là, et l’éducation qu’ils y ont faite leur a sans doute appris comment on se débarrasse des gens qui nous gênent en les envoyant sans bruit hors de ce monde. Un ou deux braves serviteurs du comte de Kœnigsmark ne se lassent pas cependant de poursuivre leurs recherches ; on les voit aller et venir d’ici à Hanovre, s’informant au sujet de leur maître. Hélas ! point de nouvelles ! Quant à moi, mon opinion est que son cadavre gît au fond du cloaque. Sa sœur est ici qui continue à jeter feu et flammes comme Cassandre. L’aimable personne voudrait avoir des nouvelles de son frère ; mais Hanovre lui répond, à l’exemple de Caïn : Nous ne sommes pas les gardiens de ton frère. On retrouvera peut-être le cadavre, mais les circonstances du meurtre resteront toujours un impénétrable mystère. J’ai connu ce jeune homme en Angleterre, à Hambourg, dans les Flandres et à Hanovre ; c’était un assez mauvais garnement, et je l’évitais avec soin. Si ce qu’on raconte de lui est vrai, il pourrait bien se faire qu’il n’ait eu, en dernière analyse, que ce qu’il méritait. »

Philippe de Kœnigsmark, pendant les campagnes de Flandre, s’était lié avec les plus grands personnages de son temps, qui le recherchaient pour sa bravoure sur les champs de bataille, son goût effréné des plaisirs et les agrémens de son esprit. Au premier rang de cette illustre clientelle figure le roi d’Angleterre Guillaume III, qui commandait l’armée alliée. Dans une lettre de Kœnigsmark datée du camp de Deinse (13 août 1692) se trouve ce passage : « Le roi m’avait écrit pour jouer avec lui à la tente de l’électeur, où il a déjeuné. Je ne sais si ma méchante humeur me permettra d’y aller. » Et plus loin : « Milord Portland m’a bien témoigné de l’estime et m’a assuré que le roi avait de la bonté pour moi. Tout cela ne me fait point prendre une résolution