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ainsi représenté pour que son vainqueur pût se donner le plaisir de fumer à travers l’image de sa personne en signe de triomphe.

Ce grand nombre de pipes prouve que l’usage de fumer remonte, comme les monumens dans lesquels on les a trouvées, au moins à un millier d’années. La surprise que.pourrait causer l’abondance de ces pipes disparaîtra, si l’on réfléchit que l’action de fumer a été chez diverses nations de l’Amérique une cérémonie religieuse, et qu’elle forme encore aujourd’hui, chez plusieurs d’entre elles, la portion la plus essentielle du cérémonial dans les assemblées où l’on délibère et où l’on ratifie les traités. J’ai recueilli un assez grand nombre de passages qui montrent qu’aspirer le tabac était un acte religieux, et le brûler un hommage à la Divinité. Quoi qu’il puisse y avoir à cela d’étrange pour certaines personnes, le tabac était un encens. Ainsi il y a encore aujourd’hui des peuplades dans le sud-ouest qui ont coutume de monter sur un tertre, au lever du soleil, pour lancer une bouffée de fumée vers le zénith, et une dans la direction des quatre points cardinaux ; d’autres tribus disaient avoir reçu le tabac, comme le maïs, d’un messager céleste du Grand-Esprit, auquel elles offraient la fumée de leurs pipes, et cette cérémonie précédait toutes les solennités.

Une tradition singulière existe chez les sauvages qui habitent entre le Haut-Mississipi et le Haut-Missouri. Là, sur le coteau des prairies, se trouve une pierre rouge qui sert à faire des pipes. Toutes les tribus du voisinage s’y rendent en temps de guerre comme en temps de paix, car, disent-elles, le Grand-Esprit veille sur ce lieu, et la massue des combats aussi bien que le couteau à scalper n’y frappent jamais un ennemi. Quelques-uns des Sioux racontent que « le Grand-Esprit envoya un jour ses coureurs pour convoquer toutes les tribus dans la carrière de la pierre rouge ; il prit un morceau de cette pierre, en fit une pipe, la fuma sur les Indiens rassemblés, et leur dit que, bien que se faisant la guerre, ils devraient toujours être en paix en ce lieu, qu’il appartiendrait aux uns comme aux autres, et que tous devaient fabriquer leurs pipes avec cette pierre. Ayant ainsi parlé, un énorme nuage, sorti de sa grande pipe, roula sur leurs têtes, et, il disparut dans ce nuage. Les rochers furent enveloppés dans un torrent de feu, de sorte que leur surface en fut fondue. Deux femmes, alors atteintes par les flammes, tombèrent sous deux rochers sacrés, et personne ne peut enlever de la pierre rouge de cet endroit sans leur consentement. » Il y aurait plusieurs choses à remarquer dans cette légende : une sorte de trêve de Dieu, le souvenir de quelque éruption volcanique. Je me borne à attirer l’attention sur le caractère religieux de l’action de fumer attribuée ici à la Divinité elle-même. D’après ce qui précède, on ne s’étonnera pas que des pipes se rencontrent avec une telle profusion dans les tertres de l’Ohio, dont la