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de Macao et de Manille, où la Bayonnaise devait s’arrêter à trois ou quatre milles de terre, nous éprouvions une certaine douceur à nous trouver mouillés à 150 mètres à peine de la plage, au centre d’un étang dont la brise pouvait rider, mais non gonfler la surface. Quelques navires de commerce, deux bricks-goëlettes de guerre, l’Amboine et le Hussard, commandés par les capitaines Dibbetz et Wipff, animaient, avec une foule de pros indigènes ou de bateaux-pêcheurs, ce paisible canal, dans lequel une flotte eût trouvé assez d’espace et assez de profondeur pour jeter l’ancre. Je ne sais quel peut être l’aspect de la rade de Macassar quand la mousson d’ouest route jusqu’à Célèbes les lourdes vapeurs de l’Océan Austral ; mais sous le ciel bleu et limpide de la mousson d’est, ce paysage présentait le 26 juin 1849, quelques instans après le lever du soleil, un des spectacles les plus ravissans qu’on puisse imaginer.

De la rade de Macassar, on aperçoit encore, à demi effacées, il est vrai, par la distance, les montagnes dont le versant méridional descend brusquement vers la mer pour former la baie de Boule-Comba et de Bonthain. Une plaine immense, entrecoupée de mille bouquets d’arbres, se déploie jusqu’au pied de ce lointain amphithéâtre. Sur la droite, ombragé par un long rideau de cocotiers, s’étend un des quartiers de la ville malaise. Le fort de Rotterdam domine la rade de ses hauts parapets et développe parallèlement au rivage ses murailles d’une éclatante blancheur. La ville européenne est resserrée entre la forteresse et le campong bouguis assis à l’autre extrémité de la baie sur ses pilotis de palmier sauvage. Si l’on porte ses regards vers un autre point de l’horizon, si l’on cherche, au-dessus de la digue sablonneuse à laquelle la rade doit sa tranquillité, l’étendue infinie de l’océan, ce n’est pas l’espace désert et morne que l’on rencontre, c’est la mer égayée par de nombreux îlots, verdoyantes oasis au milieu desquelles circule un bleu méandre. C’est surtout au nord de Macassar, sur une largeur de cinquante milles environ, que, du sein de leurs grottes sous-marines, les zoophytes se sont plu à faire surgir d’innombrables écueils aujourd’hui couronnés de. verdure. Sous le nom d’archipel de Spermonde, ces îlots forment un des labyrinthes les plus inextricables dans lesquels le navigateur puisse jamais se trouver engagé.

Ce riant tableau ne tarda point à perdre une partie de ses charmes. Des teintes vives et dures, un éclat uniforme, remplacèrent bientôt les fraîches couleurs et les nuances délicates du matin. Le gouverneur de Célèbes, M. Bik, avait eu l’aimable attention d’envoyer à notre rencontre deux voitures, dans lesquelles nous trouvâmes un refuge lorsque, vers dix heures, nous mîmes le pied sur le débarcadère. Il nous avait suffi toutefois d’affronter pendant quelques minutes la morsure d’un soleil féroce pour juger de ce que nous eussions