Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/1038

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des dithyrambes sur Missolonghi et sur le général Foy, hélas ! et même des dialogues des morts entre François Ier et Louis XI, Charles VI et George III, sans compter Napoléon jugé par ses pairs. Le malheur des vers de M. Viennet entre plusieurs autres inconvéniens qu’on pourrait citer, c’est d’avoir un air un peu étranger dans ce pauvre monde littéraire si bouleversé et si transformé depuis que le digne académicien chantait Parga et les nègres, ou faisait dialoguer Napoléon avec Thémistocle ou Fontanes sur le mode lyrique et dithyrambique.

L’inspiration littéraire en effet a subi bien des métamorphoses depuis trente ans ; elle a traversé tous les domaines, — le drame, la poésie, le roman. Où est-elle aujourd’hui encore ? Quels signes de vie donnent les talens contemporains qui se sont manifestés dans ces divers genres ? Les Maîtres Sonneurs sont la dernière œuvre de L’auteur d’Indiana : c’est encore une histoire de paysans qui vous transporte au milieu des bûcherons et des muletiers du Berry et du Bourbonnais ; mais en réalité les paysans de Mme Sand sont-ils toujours des paysans ? N’y a-t-il pas dans leurs amours une certaine métaphysique qui revient assez fâcheusement de temps à autre, et se manifeste par des subtilités peu naturelles1 ? N’y a-t-il pas quelque chose d’étrange dans un paysan dominé par l’idée fixe de la musique et prétendant reproduire sur sa cornemuse les souvenirs de son enfance, les vallées pleines de murmures, les matinées printanières ? Notez qu’il y a une certaine fille du nom de Brulette et d’une fine oreille à coup sûr, qui prétend reconnaître toutes ces choses. Dans la donnée première, pas plus que dans le drame des passions ou la combinaison des caractères, les Maîtres Sonneurs n’offrent rien de bien nouveau et de bien saisissant. Quant au style, il faudrait être un peu plus Berrichon pour en apprécier les mérites, puisque c’est dans cette langue que le roman est écrit. Il y a cependant une réflexion indépendante de tout ceci, que suggère le livre nouveau de Mme Sand : ce qui manque le plus certainement dans les Maîtres Sonneurs, c’est le relief, c’est cette empreinte particulière qu’une imagination rigoureuse laisse toujours sur son œuvre, même quand elle se trompe. Or pour un tel talent, qui a créé André, Valentine, Mauprat, la Mare au Diable, le pire de tout, c’est d’en venir à ce point : — d’écrire moins pour exciter l’attention par le relief ou la grâce originale de l’invention que pour offrir un aliment aux curiosités oisives. Ce n’est point là, il nous semble, le genre de succès auquel peut se borner l’auteur des Lettres d’un Voyageur. Et tandis que nous parlons de ces choses vivantes de la littérature et de l’art, voici cependant un jeune homme qui s’en va de ce monde avant l’heure, et qu’une mort précoce a enlevé en quelques jours. M. Charles Reynaud avait les dons de la fortune, et il avait aussi ceux du talent. Il aimait les lettres avec toute la ferveur d’un esprit jeune et facile. Récemment encore, on peut s’en souvenir, il publiait des Epîtres et Pastorales, poésies pleines d’ardeur et de sentiment, où partout se reflétait l’image de son pays natal. C’était donc une vie heureuse et un talent distingué qui promettait plus d’une œuvre gracieuse, plus d’un récit ingénieux, comme celui qu’on a pu lire ici sur un Hiver en Corse, lorsque la mort est venue le surprendre au détour de toutes ses espérances et de ses récens succès. C’est ainsi que la mort se fait cruellement sa place même