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au visage et au costume de bandits ; mais cependant le contraste est grand entre le Longchamp mexicain et ce canal couvert de barques portant l’antique population du pays, avec son costume, ses fleurs, ses danses au son de la harpe et ses chansons. On assure que ces Indiens déplorent encore aujourd’hui dans leurs chants la chute de l’empire de Montezuma. Les femmes portent, sous le manteau bleu dans lequel elles sont enveloppées, des robes très peu montantes, de sorte qu’au moindre mouvement qu’elles l’ont, on aperçoit une grande partie de leur brune personne.

Dans le quartier de Mexico où les anciens canaux existent encore, on voit, certains jours de la semaine, les fleurs et les fruits qui doivent se vendre au marché arriver de grand matin sur des bateaux plats, recouverts de nattes, et conduits par des Indiens ou des Indiennes. Ce gracieux spectacle est plus frappant peut-être que celui que je décrivais tout à l’heure, car ce n’est pas à un divertissement, conservé par hasard, des temps anciens qu’on assiste : on se trouve transporté au sein de la vie quotidienne des Aztèques. Les choses se passaient exactement ainsi avant la conquête : on a devant les yeux un petit coin du tableau qui frappa les regards de Cortez et de ses compagnons. Le marché aux fruits offre un aspect du même genre. C’est le premier marché aux fruits du monde, car nulle part autant qu’à Mexico on ne peut trouver réunies les productions des diverses zones : où voit-on, par exemple, des cerises à côté des ananas et des bananes ? Il faut être pour cela dans un pays où se trouvent toutes les températures, et par suite toutes les végétations.

Comme je traverse la grande place, le tambour bat aux champs, le poste en faction au palais sort musique en tête : c’est qu’on porte à. un malade le saint-sacrement dans une voiture attelée de deux mules blanches. Tout le monde se découvre, s’arrête et fléchit le genou d’aussi loin qu’on peut entendre la clochette. Ces hommes épars sur cette immense place, agenouillés, inclinés, recueillis, forment un tableau grave et imposant. En Espagne, j’ai vu quelque chose d’analogue, mais d’un effet moins sérieux. J’étais au théâtre. Tout à coup les acteurs se turent, les spectateurs se levèrent et tournèrent le des à la scène. C’est qu’on avait entendu la clochette qui annonçait le passage du saint-sacrement, qu’on appelle sa majesté, majesté devant laquelle s’humilia l’orgueil de Philippe II le jour où, ayant rencontré le pieux cortège, il descendit de sa voiture, y lit monter le prêtre qui portait l’hostie consacrée, et suivit à pied.

Les seuls monumens dignes de ce nom qui décorent la grande place de Mexico sont la cathédrale et le Sagrario[1]. L’intérieur de la cathédrale

  1. C’est le lieu où l’on baptise et où l’on marie.