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des finesses de la langue française. La même tendance marque les premières années du XIXe siècle : Moore, Sheridan, le cercle du Régent à Carlton-House, perpétuent la tradition de Louis XV ; ils aspirent à Beaumarchais et descendent de Crébillon fils.

Tout d’un coup, au moment où L’Angleterre arrive à i l’apogée de ces incohérences, où salons, théâtres, bureaux de journaux, clubs, carrefours et cabarets retentissent du bruit de victoires gagnées pour une cause que la nation n’aime pas, et se remplissent d’étrangers qu’on subit en les accablant de l’êtes ; au moment de ce brouhaha général, qu’on désigne habituellement sous le nom de la paix, — une gloire nouvelle, éclose en un jour, vient épouvanter la société et les lettres. Au premier abord, Byron semble rompre avec la tradition et se séparer des tendances de ses devanciers : au fond, il n’en est que la conséquence inévitable, que l’expression dépouillée de tout artifice. Byron est la plus sublime et la dernière incarnation de l’esprit normand en Angleterre ; mais chez lui l’inspiration vient si directement de la source étrangère, que c’est en étranger, en ennemi presque, qu’il entre en scène. Byron n’a absolument rien d’anglais ; fils de Rousseau et de Voltaire, tout lui est antipathique dans un pays où personne ne veut le comprendre. Fort différent en cela de Shelley, aucun retour de tendresse, aucun mouvement de regret ne se trahit jamais chez lui à l’égard de sa patrie, qu’il hait en étranger, en homme qui prétend n’en pas être, I am not one of you (je ne suis pas des vôtres), écrit-il dans une de ses lettres. Si jamais œuvre littéraire fut opposée à l’esprit de la nation à qui elle appartient, cette œuvre est à coup sur Don Juan. De ce monument immortel du génie de Byron, un Anglais très bien élevé doit au moins affecter d’ignorer les détails ; de cette portion incontestée de sa gloire, il doit avoir honte. Cependant Don Juan n’est, à tout prendre, que la conséquence logique de cette francomanie qui possède l’Angleterre depuis deux siècles. Les galanteries de Charles II, les bons mots de ses favoris, les petits soupers de lady Mary Montague, les Chocolate-houses de Richard Steele, les bals où l’on s’habillait en Diane, et les médisances d’Horace Walpole, tout cela a préparé le terrain sur lequel Byron a bâti plus tard.

Le grand trait distinctif qui signale chez l’auteur de Don Juan l’influence du génie normand, c’est la légèreté, qualité essentiellement anti-anglaise. Tant que règne l’école dont nous venons de parler, on essaie de plaisanter sur le vice, ce qui est justement la chose que l’esprit national a le plus en horreur. L’Anglais, dans ses fautes comme dans ses vertus, dans ses plus saints enthousiasmes comme dans les égaremens de la passion, est toujours sérieux, toujours in