Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/368

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’août 1777, en réponse à une proposition insidieuse de l’Angleterre demandant à la France de signer un traité de garantie pour la sûreté des possessions des deux couronnes en Amérique, le ministre écrivait au roi cette note restée inédite jusqu’à ce jour :


« Une assurance pour la sûreté des possessions des deux couronnes en Amérique semble aussi peu convenable qu’inutile. Ce serait nous lier les mains et placer dans la main de notre ennemi une verge toujours levée dont nous sentirions le redoutable effet chaque fois qu’il voudrait nous extorquer quelque injuste et nouvelle complaisance.

« Si les condescendances ne suffisent pas à l’Angleterre, il ne doit plus y avoir à opter, et il serait prudent, à tout événement, de faire passer dès aujourd’hui des ordres secrets à tous nos commissaires dans les ports de ne pas expédier les bâtimens français qui peuvent se préparer au départ, sous divers prétextes qu’on prolongera pendant quinze jours, — d’envoyer des bâtimens d’avis à Terre-Neuve, sur le grand banc, dans nos îles et dans le Levant, pour qu’on y soit sur ses gardes, et qu’on ne s’expose pas témérairement à l’incertitude des événemens[1]. »


Beaumarchais, persuadé de son côté que les hésitations trop prolongées du gouvernement à reconnaître l’indépendance américaine amèneraient la paix entre l’Angleterre et l’Amérique aux dépens de la France, assiégeait M. de Maurepas et M. de Vergennes de mémoires volumineux où il exposait, avec sa pétulance ordinaire, l’alternative impérieuse sur laquelle il fallait opter. Dans un de ces mémoires inédits en date du 26 octobre 1777 et intitulé Mémoire particulier pour les ministres du roi et Manifeste pour l’état, Beaumarchais, après avoir examiné toutes les faces de la question et prouvé que le système de l’inaction ne doit pas être continué, rédige avec l’aplomb qui le caractérise un projet de manifeste pour le roi Louis XVI, dans le cas où on se déciderait enfin à reconnaître l’indépendance des États-Unis, et ce qui est assez curieux, c’est qu’à tout prendre la substance de ce projet proposé par Beaumarchais le 26 octobre 1777 se retrouve dans la déclaration officielle notifiée par le gouvernement français à la cour de Londres le 13 mars 1778. Après avoir rédigé son manifeste, Beaumarchais entre dans l’exposé des mesures à prendre, et discute la nuance d’opinion de chaque ministre absolument comme s’il faisait partie du conseil. On voit du reste qu’il ne fait que continuer par écrit une discussion entamée sans doute en sa présence chez M. de Maurepas.


« Tel est à peu près (écrit-il) le manifeste que je propose au conseil du roi. Bien est-il vrai que cet écrit, ne faisant qu’étendre les droits de la neutralité française et mettre une égalité parfaite entre les contendans, peut irriter les Anglais sans satisfaire les Américains. S’en tenir à ce point est peut-être laisser

  1. L’Angleterre, dans la guerre précédente, nous avait appris la défiance en attaquant nos navires à l’improviste et sans déclaration de guerre.