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coalise s’ils sont malheureux, avec qui personne ne veut rompre s’ils ont du bonheur. Celui-ci fut heureux. La campagne de 1704 fut une des plus brillantes de Marlborough ; elle le fit passer du rang des généraux habiles dans celui des grands capitaines. C’est l’année de la bataille de Hochstett. La gloire désintéresse les nations ; elle donne au pouvoir plus d’indépendance, elle calme ou décourage les partis, comme une grande passion glace dans l’âme toutes les autres. « Quand arriva la nouvelle de la bataille de Blenheim, dit spirituellement dans ses mémoires lady Marlborough, on eût dit qu’au lieu de battre les Français, c’était l’église qu’il avait battue. »

Cette fois le bill contre les non-conformistes rencontra une forte résistance même dans la chambre des communes. On échoua dans la tentative de l’annexer à la loi de l’impôt foncier pour forcer le vote de l’autre chambre, car il est de principe que les pairs ne peuvent amender les lois de taxation, qui doivent être adoptées ou rejetées intégralement. C’est Harley, dit-on, qui suggéra cet expédient à Bromley et aux tories, qui donnèrent dans le piège, et ne s’aperçurent pas que Harley voulait leur plaire et non les servir. Le débat venu, Harley se tut ; mais le chancelier de l’échiquier Boyle combattit fortement et le bill et l’expédient. Saint-John parla contre un procédé qui pouvait compromettre le vote des subsides nécessaires aux frais de la guerre. Une nouvelle division se créa dans le sein du parti ; on distingua les tackers des non-tackers, ceux qui voulaient de ceux qui ne voulaient pas clouer le bill à une loi de finances. Il y eut même une fraction de tachers modérés aux dépens desquels la polémique s’égaya, et les tories crièrent à la trahison des ministres, Harley et Saint-John avaient en effet voté contre le tack, quoique le premier passât pour l’avoir conseillé. Aussi, après le vote négatif de la chambre des lords, le duc de Buckingham ne crut-il pas pouvoir garder le sceau privé, qui fut confié au duc de Newcastle, connu par ses relations avec les whigs. On vit bientôt arriver du continent le duc de Marlborough, amenant avec lui son prisonnier de Hochstett, le maréchal de Tallard. Il venait comme pour recueillir sa gloire. Il n’était plus question de lui refuser une récompense nationale. Une adresse des communes en fit la demande à la reine, et, par un bill que proposa Saint-John, le manoir royal de Woodstock fut donné à la maison de Marlborough, avec un vaste domaine où le contrôleur des bâtimens de la couronne eut ordre de faire construire, au milieu d’un parc magnifique, le palais de Blenheim, massif monument du goût médiocre désir John Vanbrugh.

Marlborough, au faite de la puissance, devenait le véritable chef de l’administration et plus que premier ministre. C’était le plus intrigant des grands hommes. Toujours maître de lui-même, mêlant la