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rendre leurs villes plus fortes et d’avoir plus de bras à opposer à l’ennemi. Les populations se condensèrent donc dans ces lieux d’asile, et le spectacle des grandes perturbations suscita le besoin, fit naître le désir d’obtenir des garanties pour sa fortune et pour sa personne. Dès le commencement du XIe siècle, on sentait circuler dans ces agglomérations bourgeoises comme un premier frisson de liberté. Sous le réseau d’acier dont la féodalité enlaçait la France, se ranimaient de confus souvenirs du droit municipal, réchauffés au foyer des inspirations chrétiennes. Ce mouvement était surtout prononcé dans les provinces qui touchaient à l’Italie, où la ruine des institutions romaines avait été moins complète, parce que le flot de l’invasion y était en quelque sorte venu mourir. Aucune puissante monarchie ne s’était constituée au-delà des Alpes ; les villes toscanes et lombardes avaient pu se maintenir et s’organiser dans une sorte d’isolement, et les traditions de l’antique municipe vinrent se combiner avec le génie de l’époque féodale dans un système de gouvernement à la fois très énergique et très libre dont rien en Europe n’avait pu jusqu’alors donner l’idée. Le peuple conféra à des magistrats élus par lui et placés sous son contrôle la triple puissance administrative, judiciaire et militaire, et des souvenirs dont la grandeur remplissait encore le monde firent généralement attribuer à ces magistrats municipaux le nom de consuls. Ce mouvement pénétra la France, d’un côté par les Alpes, et de l’autre par la mer. M. Thierry nous montre, au XIIe siècle, le consulat établi dans les nombreuses cités françaises liées à l’Italie par leurs relations maritimes ; il constate que cette influence italo-romaine s’étendit successivement à toutes les provinces méridionales, c’est-à-dire à près d’un tiers de la France actuelle.

Pendant ce temps, les provinces du nord marchaient au même but par des voies différentes. Sans aucun concert et sans aucun centre commun d’action, une révolution se préparait dans toutes les agglomérations urbaines par la seule influence des germes de liberté jetés à tous les vents du haut des chaires chrétiennes. Une aspiration irrésistible vers l’affranchissement personnel, un besoin général de garanties pour la fortune mobilière et les industries naissantes se produisirent simultanément du Rhin aux Pyrénées. Malgré la conformité du but, ce mouvement affecta deux formes opposées, selon l’influence qui prédominait au sein des villes où il se révélait. Tandis que le consulat s’établissait dans les pays d’outre-Loire, la commune jurée naquit dans le nord, non des souvenirs romains à peu près perdus dans ces contrées, mais des traditions germaines appliquées aux besoins nouveaux qui commençaient à se produire dans cette partie de la France aussi bien que dans les provinces méridionales. Cette double forme de la commune