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royale impuissante et avilie ; les députés des villes se subordonnant, moitié par besoin de direction, moitié par l’influence des menaces populaires, à la députation de Paris ; la démagogie et l’émeute se mettant dans la capitale au service du pouvoir municipal, et bientôt après le menaçant lui-même ; la révolution se faisant homme dans la personne d’Etienne Marcel, qui formule, en termes presque conformes à ceux de notre langue politique contemporaine, la souveraineté du peuple et le transport de l’autorité publique de la couronne à la nation ; cet homme versant le sang moins pour satisfaire ses propres passions que celles des instrumens auxquels il obéit en paraissant leur commander, arborant des couleurs nouvelles, comme symbole d’une révolution populaire, et, pour sanction de ce changement, aspirant à faire passer la couronne de la branche de Valois à la branche d’Evreux ; puis, à la suite des longs désordres de la capitale, la jacquerie dans les provinces, avec ses colères et ses vengeances, l’étranger profitant de cette universelle anarchie pour ajouter toutes les humiliations à toutes les douleurs : telle est la grande page d’histoire dans laquelle la bourgeoisie de 1789 aurait pu lire, à près de cinq siècles de distance, ses espérances et ses déceptions.

Si la prudence consommée de Charles V tira la France d’une crise devenue plus redoutable par les agitations populaires que par les succès mêmes de l’ennemi, les calamités du règne suivant la replongèrent dans l’abîme. Durant l’orageuse minorité et la longue démence de Charles VI, le tiers-état, excité par le spectacle de tous les scandales et des plus odieuses dilapidations, reprit le cours des idées politiques formulées aux états de 1355 et de 1356 ; mais dans cette tentative nouvelle il perdit plus vite et plus complètement encore la direction du mouvement qu’il avait suscité. Les réformes réclamées au commencement du XVe siècle, les hardies tentatives concertées entre le corps de ville et l’université, dont l’un fournissait à la bourgeoisie ses hommes d’action et l’autre ses hommes de parole, aboutirent à l’émeute des cabochiens et à la formation d’une faction plus menaçante encore pour les chefs du tiers-état que pour les agens de l’autorité royale. Le concert des Maillotins et des Bourguignons avait livré Paris au bras des écorcheurs, et l’on avait vu les lettrés et les riches marchands, après avoir, sinon invoqué, du moins subi le concours de la plus brutale populace, monter confondus avec les meneurs de celle-ci sur les potences élevées par la réaction monarchique. Ecrasés de confiscations juridiques, pressurés d’impôts, les bourgeois de Paris subirent le contre-coup de la victoire que venait de remporter la royauté sur les communes flamandes. La bataille de Rosebecque fut gagnée contre eux, et après de longues et stériles agitations l’on vit le pouvoir de la couronne sortir plus éclatant et moins contesté des tentatives par lesquelles le tiers-état s’était efforcé de