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au second que Saint-John aimait encore le mieux ressembler. C’est dans les Mémoires de Grammont qu’il faudrait chercher des caractères et des exemples propres à nous donner une juste idée de ce côté de notre personnage ; on ne sait plus même aujourd’hui comment redire dans une histoire ce qu’expriment parfois avec une vivacité naïve les mémoires du XVIIe siècle. Bornons-nous à quelques citations, sans oser y comprendre des vers qu’on lit dans Swift et qui caractérisent les goûts de celui que Swift appelle lui-même un roué achevé, a thorough rake. « Quand milord Bolinghroke fut fait secrétaire d’état, dit Voltaire, les filles de Londres qui faisaient alors la bonne compagnie se disaient l’une à l’autre : « Betty, Bolingbroke est ministre. Huit mille guinées de rente, tout pour nous ! » Dans ses lettres diplomatiques à Matthew Prior, Bolingbroke lui-même parle d’un agent secret de la France, le gros abbé Gautier, qui lui avait promis son portrait : « Assure-le bien, ajoute-t-il, que je le placerai parmi les Jenny et les Molly, et que je le préférerai à elles toutes. » Mais c’en est assez sur une partie de son histoire que l’histoire doit oublier. Ce n’est pas que ses goûts ardens et frivoles, ce n’est pas que quelques souvenirs des temps et des idées de Hamilton et de Saint-Evremond n’aient pu influer sur sa politique comme sur sa philosophie. Ce que les Anglais recherchaient tant alors, l’esprit, wit, était regardé comme incompatible avec le puritanisme, et une certaine licence d’imagination et de pensée était requise pour n’être pas un sot, quand on était du bel air, suivit-on le parti de la haute église. La littérature, peu sévère jusque-là, commençait à peine à s’épurer ; mais elle était très goûtée et ne déparait ni un courtisan ni un homme d’état. Harley savait bien le grec, et Saint-John, à défaut de grec, se piquait d’être bon latiniste. Tous deux s’entourèrent de poètes et d’écrivains, et leur demandèrent plus que de les divertir et de les louer : ils leur demandèrent de les servir, se laissant conseiller pâteux en même temps que par eux ils se faisaient défendre. Saint-John surtout eut fort à cœur de faire coopérer la presse et le gouvernement, et il entendit à merveille l’art d’employer l’une à l’avantage de l’autre.

Dans les pays libres, les affaires, en même temps qu’elles se font sur leur véritable terrain, dans les conseils, les assemblées, les camps, les congrès, sont comme répétées sur un autre théâtre, celui que la presse dresse devant le public. La pièce se joue deux fois, ou plutôt il y a la réalité et puis la représentation ; mais celle-ci à son tour réagit sur celle-là par les idées et les passions qu’elle donne au public, et elle devient quelquefois ainsi la première des affaires de l’état. Saint-John ne l’ignorait pas plus que Harley. Le mouvement d’opinion qui avait facilité leur retour au pouvoir était l’ouvrage