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désordre. La vérification de ses comptes lui avait été favorable, on n’en parla pas ; mais on insista sur trois irrégularités relevées dans la gestion de Marlborough, moins bien défendu que Godolphin par sa réputation. Il établit, dans une lettre rendue publique, que les gratifications qu’il avait prélevées sur les fonds destinés à l’approvisionnement des troupes ou à la solde des auxiliaires étaient accordées à ses devanciers ou autorisées par la reine. C’est alors que, sans même attendre la décision parlementaire, cette princesse en son conseil déclara qu’une information étant commencée contre lui, elle jugeait à propos de lui retirer tous ses emplois. Pour soutenir un coup si hardi, il fallait briser la majorité de la chambre haute ; on créa douze nouveaux pairs. Je ne sais si cet exercice inusité de la prérogative s’est jamais renouvelé, et la chambre ainsi frappée ne se soumit qu’en murmurant La mesure ne fut approuvée de personne. On ne la défendit qu’à raison de la nécessité absolue, et comme pour en donner une preuve, on fit voter la chambre par manière d’essai sur un ajournement qui passa juste à douze voix de majorité. En apprenant ce résultat, Saint-John dit insolemment dans une des salles de Westminster : « Si les douze ne suffisent pas, on leur en donnera une autre douzaine. » Cependant il a grand soin, dans son mémoire apologétique, de présenter cette mesure, que la nécessité ne saurait qu’à peine excuser, comme un expédient tout personnel dont lord Oxford avait eu besoin pour remédier à son discrédit dans la chambre des pairs.


XII

À la nouvelle de la disgrâce de Marlborough, tout s’émut sur le continent : les alliés se sentiront abandonnés ; le prince Eugène accourut en Angleterre pour défendre les intérêts de l’Allemagne et ceux de son compagnon d’armes. L’inaltérable union de ces deux capitaines, cette union qui nous fut si fatale, est un fait bien rare dans l’histoire des hommes de guerre. Eugène fut reçu avec de grands honneurs, mais espionné avec grande vigilance, et la reine lui accorda une audience en présence de Saint-John, à qui, prétextant sa santé, elle le renvoya pour la conversation. Tous les conseils d’Eugène furent éludés ; fêté par les whigs, ménagé par les tories, insulté par les jacobites, il partit sans avoir pu se faire écouter. On prétendit même, dans le monde ministériel, et l’on insinua à la reine qu’il avait avec Marlborough comploté un coup de main pour s’emparer du gouvernement, et la presse répandit cette absurde imputation, par voie d’allusion, dans le public. On cita de lui, avec plus de vérité, quelques mots heureux. La reine lui disait qu’il était le plus